Libye : Les Nations unies prolongent un embargo sur les armes… qui continuera d’être violé, faute de moyens

Le 10 juin, le Conseil de sécurité des Nations unies [CSNUE] a voté, à l’unanimité de ses 15 membres, la résolution 2473, qui prolonge d’un an supplémentaire l’embargo sur les armes destinées à la Libye, pays en proie à une guerre civile relancée en avril dernier avec l’offensive de l’Armée nationale libyenne [ANL] du maréchal Haftar contre les milices favorables au gouvernement d’entente nationale [GNA] établi à Tripoli.

Voilà pour la théorie. En pratique, ce même embargo n’a nullement empêché les belligérants de se procurer des blindés, des drones, voire des avions de combat. Ainsi, en mai, l’ANL reçut des véhicules de transport de troupes Al-Mared 8×8 tandis que les troupes loyales au GNA prenaient livraison d’une trentaine de véhicules MRAP [Mine Resistant Ambush Protected] de type Kirpi, produits par l’industriel turc BMC.

Plus général, un rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la Libye, publié en septembre 2018, avait déjà déploré les violations régulières de cet embargo, estimant que « tous les États Membres pourraient renforcer considérablement les mesures » pour le faire appliquer.

Or, au cours de la période considérée par ce rapport, l’opération navale de l’Union européenne EUNAVFOR Sophia avait l’autorisation, via la résolution 2292 [placée sous chapitre VII], de faire respecter cet embargo. Or, depuis quelques semaines, cette dernière, privée de navires, ne repose plus que sur des moyens aériens. Ce qui est un peu léger… Mais visiblement pas pour Anne Gueguen, la représentante permanente adjointe de la France auprès des Nations unies, ni, dans une moindre mesure, pour Juergen Schulz, son homologue allemand.

Le « caractère dissuasif » de l’opération Sophia « limite les violations de l’embargo sur les armes et les flux d’armes qui continuent de transiter par la voie maritime et qui ne font qu’aggraver la situation depuis le début de l’offensive », a d’abord fait valoir MMe Gueguen.

« Si les moyens maritimes de l’opération ont été suspendus temporairement », a enchainé la représentante française, l’opération Sophia « a recentré son action et demeure active pour mettre en œuvre le mandat que lui a été confié à travers la formation des gardes-côtes libyens [qui relèvent du GNA, ndlr] ainsi que le suivi de leurs actions afin de s’assurer de leur efficacité opérationnelle et du respect des droits de l’homme », ce qui permet « aux autorités libyennes de contribuer, à leur niveau, à la lutte contre le trafic d’armes. » Et d’ajouter que l’opération « mobilise ses moyens aériens pour recueillir du renseignement et les informations nécessaire au maintien de l’embargo sur les armes. »

De son côté, le diplomate allemand a fait observer que « l’opération Sophia est un mécanisme clef pour la pleine mise en œuvre de l’embargo », ce qui, selon lui, « est plus urgent que jamais » étant donné que le « flux des armes fait craindre un penchant pour une solution militaire […] qui risque de déstabiliser toute la région. » Toutefois, a-t-il continué, « il est temps de redoubler d’efforts pour assumer nos responsabilités et… trouver les moyens d’appliquer réellement l’embargo sur les armes. »

Cela étant, les armes et autres équipements militaires livrés aux factions libyennes n’arrivent pas seulement par la mer : ils peuvent aussi leur parvenir par voie aérienne. Et cela rend encore plus compliquée toute interception. Ainsi, le groupe d’experts sur la Libye s’est interrogé, dans son rapport, sur les allées et venues d’un avion de transport C-17 Globemaster américain à Misrata et Benina.

« D’après l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, ces cinq derniers mois, un appareil C-17 de la force aérienne des États-Unis a régulièrement effectué des vols vers Misrata et Benina. Cet appareil a décollé de différents aéroports, notamment de la base aérienne de Ramstein [Allemagne], de l’aéroport international de Djibouti, l’aéroport international de La Canée [Grèce], de Brize Norton de la Royal Air Force [Royaume-Uni] et de l’aéroport de Trapani Birgi [Italie].
Au moins 15 vols ont été enregistrés par l’Organisation […]. Le Groupe d’experts a demandé aux autorités des États-Unis des informations sur la nature de ces vols et les types d’articles qui ont été transférés en Libye et est toujours dans l’attente d’une réponse », est-il écrit dans ce document.

Photo : EUNAVFOR SOPHIA

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