Les États-Unis critiquent les initiatives de l’UE en faveur de l’industrie européenne de la défense

« L’article 5 du Traité de l’Alliance atlantique n’est pas l’article F-35 » a répété Florence Parly, la ministre des Armées, alors qu’elle était interrogée sur l’attitude des États-Unis à l’égard des initiatives de l’Union européenne en matière de défense. Un domaine que cette dernière a longtemps négligé avant de prendre le taureau par les cornes en lançant, ces derniers mois, la Coopération structurée permanente [CSP ou PESCO], le Fonds européen de Défense [FED] ou encore Programme européen de développement industriel pour la Défense [PEDID].

« Il ne faut pas être naïf : si les États-Unis demandent que les alliés dépensent plus, ils aimeraient aussi beaucoup que ceux-ci dépensent plus encore pour acheter des équipements américains. Et lorsque nous osons parler, face à nos alliés de l’Otan, de politique européenne de défense ou de Fonds européen de défense en plaidant que tout cela est bon aussi pour l’Alliance atlantique, nous nous entendons parfois répondre, de manière plus ou moins ouverte, que c’est du protectionnisme », a ensuite expliqué Mme Parly.

Et ses propos ont été confirmés par deux lettres au ton peu amène adressées à Federica Mogherini, la haute-représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

La première, rédigée par deux responsables du Pentagone, souligne que les règles d’éligibilité pour bénéficier d’un financement du Fonds européen de défense « ne nuiraient pas seulement aux relations constructives entre l’Otan et l’UE que nous avons nouées ensemble au cours des dernières années mais pourraient aussi ramener aux discussions parfois conflictuelles sur la défense européenne d’il y a 15 ans », ont-ils écrits, selon l’AFP, qui a eu accès au document.

Pour rappel, le FED, qui doit être doté de 13 milliards d’euros pour la période 2021-2027, va dans le sens d’une plus grande autonomie européenne dans le domaine de la Défense en favorisant l’innovation technologique et les projets menés en coopération, c’est à dire impliquant au moins trois industriels de trois États membres.

Pour bénéficier d’un financement via le FED, les entreprises devront obligatoirement avoir leurs infrastructures au sein de l’Union européenne et leurs décisions ne doivent pas être controlées par une « entité installée » hors de l’UE. Ce qui veut dire qu’une filiale européenne d’un groupe américain, canadien ou britannique [du moins quand le Brexit sera devenu une réalité] ne pourra pas y prétendre. D’où les accusations de « protectionnisme » portées par les États-Unis.

La seconde lettre, qui a accompagné la première, a été signée par Gordan Sondland , l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne. Et le style qu’il a employé n’est pas très diplomatique puisqu’il somme Mme Mogherini de répondre aux deux responsables du Pentagone d’ici le 10 juin sous peine de « sanctions réciproques ».

« J’apprécierais votre réponse avant le 10 juin 2019 » et « j’espère que nous pourrons éviter de penser à des actions similaires », a en effet écrit M. Sondland.

Cette « mise en demeure » a évidemment été très mal accueillie « tant sur le fond que sur la forme » par les États membres, avance l’AFP, en s’appuyant sur les propos de plusieurs diplomates.

Quoi qu’il en soit, et même si elle se pliera à l’injonction de l’ambassadeur américain, Mme Mogherini a mis les choses au point, le 14 mai. « L’UE est actuellement beaucoup plus ouverte que le marché américain pour les entreprises » européennes et, en Europe, « environ 81% des contrats internationaux sont attribués à des firmes américaines aujourd’hui », a-t-elle souligné, rappelant qu’il n’était pas question de mettre en place un « Buy European Act » et que les règles en matière d’attribution de marchés publics ne changeraient pas.

Aux États-Unis, une loi fédérale instituant un « Buy American Act » est en vigueur depuis… 1933. Et elle impose au gouvernement de n’acheter en direct que des biens produits sur le sol américain. En clair, il s’agit d’une mesure protectionniste.

Cela étant, quelques pays en Europe, comme les Pays-Bas et la Suède, pensent qu’il faudrait une « approche plus inclusive » pour le FED et la CSP, estimant que l’Europe ne devrait pas exclure les États-Unis en raison, explique l’AFP, de leur « grande expertise en matière de défense. »

« Certains pays de l’Union comme la France et l’Espagne veulent vraiment mettre dix serrures sur cette porte et empêcher tout le monde d’entrer. Chez moi, je n’ai que deux serrures et c’est suffisant pour empêcher les cambrioleurs d’entrer, mais ça m’aide à l’ouvrir facilement et à accueillir les visiteurs », a ainsi expliqué un représentant de l’un des États membres favorable à cette « approche inclusive. »

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