La Turquie organise le « plus grand » exercice naval de son histoire

Le 27 février dernier, les manoeuvres « Mavi Vatan 2019 » passaient pour les plus importantes jamais organisées par les forces navales turques, lequelles mobilisèrent pour l’occasion, et pendant quatre jours, 103 navires sur les trois mers bordant la Turquie [mer Noire, mer Égée et Méditerranée].

Un peu plus de deux mois après, bis repetita. Mais avec encore plus de moyens navals et aériens sollicités. En effet, lancé le 13 mai, l’exercice Denizkurdu-2019 mobilise simultanément et sur les mêmes mers pas moins de 131 navires, 57 avions et 33 hélicoptères. Et cela jusqu’au 25 mai prochain.

« Avec cet exercice, nous visons à montrer notre détermination et les capacités des forces armées turques à protéger le pays ainsi que ses droits et intérêts en mer », a commenté Hulusi Akar, le ministre turc de la Défense.

Jusqu’à présent, les forces armées turques s’étaient surtout concentrées sur la menace posée par le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], une organisation séparatiste kurde à l’origine d’une sanglante guérilla dans le pays.

Le quotidien Daily Sabah précise que ces manoeuvres reposeront sur des scénarios « similaires aux situations de crise et de guerre ».

En outre, M. Akar a précisé que les « forces armées turques prennent les mesures nécessaires pour protéger les droits et les intérêts de la Turquie en Méditerrané orientale », notamment à Chypre. Or, c’est justement là que le bât blesse… étant donné les tensions entre Nicosie et Ankara au sujet de l’exploration gazière au large de l’île. Tensions qui, par le passé, ont déjà donné lieu à des incidents entre la marine turque et des navires de prospection affrétés par des « majors » de l’énergie.

L’origine du contentieux remonte à 1974, c’est à dire quand Ankara lança une intervention militaire dans le nord de Chypre en 1974 [opération Attila], après une tentative de coup d’État visant à rattacher Nicosie à la Grèce. Depuis, l’île est coupée en deux : la République de Chypre, membre de l’Union europénne [UE] qui en contrôle les deux tiers, et la République turque de Chypre du Nord autoproclamée et non reconnue par la communauté internationale.

Pour la Turquie, pays par ailleurs membre de l’Otan, il s’agit donc de faire profiter le nord de la manne que devrait procurer l’exploitation de gisements gaziers dans la zone économique exclusive de la République de Chypre. Cette dernière a signé des contrats d’exploration avec des poids lourds de l’énergie, comme ENI, Total ou encore ExxonMobil. Seulement, Ankara s’y oppose résolument dans la mesure où la République turque de Chypre du Nord est exclue de ces partenariats.

En novembre 2018, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a adressé une virulente mise en garde non seulement à Nocosie mais aussi aux Européens, qui, selon lui, « tremblent comme des feuilles mortes devant l’afflux de migrants et se transforment en lions dès qu’il s’agit de pétrole ou de gaz. »

« Les agissements téméraires de la Grèce et de l’administration chypriote-grecque, qui reçoivent le soutien de certains pays européens, sont devenus source de menace et de danger, à commencer pour elles-mêmes », a affirmé M. Erdogan.

Qui plus est, la Turquie a annoncé son intention de procéder elle-même à opérations de forage dans la ZEE chypriote. En février, elle a transformé ses paroles en actes en annonçant l’envoi de deux navires à cette fin. « Que ceux qui viennent de loin avec leurs entreprises voient que sans nous, ils ne peuvent rien faire dans cette région », avait commenté, à l’époque, Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères.

Le 5 mais, et comme l’Union européenne avant eux, les États-Unis ont exprimé leur « vives préoccupations » face aux projets turcs. Mais Ankara n’en a cure.

« Le communiqué du département d’État en date du 5 mai, relatif aux activités de forage de la Turquie dans son propre plateau continental, est irréaliste », a ainsi répondu le ministère turc des Affaires étrangères, estimant qu’Ankara a des droits à faire valoir sur son propre plateau continental et que les accords de délimitations maritime entre la République de Chypre et d’autres pays de la Méditerranée ne sont pas valables. « Par conséquent, les tentatives de parties tierces de se substituer aux tribunaux internationaux pour délimiter des frontières maritimes sont inacceptables », a-t-il fait valoir.

Jusqu’à présent, le président chypriote, Nicos Anastasiades, a joué la carte de la retenue. Mais devant l’intrusion de navires turcs dans la ZEE de son pays, sa patience a atteint ses limites.

Lors du sommet européen de Sibiu [Roumanie], le 9 mai, les chefs d’État de gouvernement des pays membres, sollicités par le président Anastasiades et le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, ont demandé à Ankara de respecter les eaux territoriales chypriotes.

« La Turquie doit comprendre qu’elle doit venir s’asseoir à la table de négociation de la même manière que les autres pays méditerranéens et ne pas procéder par des actions unilatérales », a fait valoir M. Tsipras. « C’est un sujet pour l’Union européenne pas seulement pour Chypre », a-t-il estimé.

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