La ministre des Armées fait une ferme mise au point sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Émirats

La semaine passée, les ventes d’armes françaises à l’Arabie Saoudite, et, dans une moindre mesure, aux Émirats arabes unis, ont une fois été décriées, y compris sur les bancs de l’Assemblée nationale, alors que le cargo saoudien Bahri Yanbu était attendu au Havre pour charger à son bord des équipements militaires de facture française [dont la nature ne fut pas précisée].

Finalement, et même si une ONG ayant voulu empêcher ce chargement via une procédure en justice n’a pas obtenu gain de cause, le navire saoudien a fait l’impasse sur son escale au Havre pour rallier directement Santander afin d’y embarquer du « matériel d’exposition pour les Émirats arabes unis. »

Quoi qu’il en soit, au même moment, la ministre des Armées, Florence Parly, a été entendue par les députés de la commission de la Défense au sujet, justement, de la politique française en matière d’exportation d’armement, et plus particulièrement sur les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite. Et cela dans un contexte parfois tendu…

Premier point, pour la ministre, les ventes d’armes sont « indispensables à notre souveraineté » ainsi qu’à celle de l’Europe. « C’est au fond notre liberté d’action dans le monde, dans le cadre de nos responsabilités de puissance de paix et de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies qui est en question » car pour « disposer des équipements militaires qui nous permettent d’intervenir [afin d’] assurer notre mission fondamentale de protection de notre territoire et de nos ressortissants ainsi que la dissuasion nucléaire, nous devons maintenir la viabilité et l’indépendance de notre industrie de défense pour les prochaines décennies », a-t-elle commencé par faire valoir.

Or, pour cela, le marché national est trop étroit pour que l’industrie française de l’armement puisse être viable. Quant à l’Europe, elle ne peut « constituer le seul marché de substitution du marché national : elle dépense trop peu pour sa défense, et quand elle le fait, elle achète encore trop peu au sein de l’Union européenne », a ensuite souligné Mme Parly, regrettant que les « Européens soient les derniers végétariens dans un monde de carnivores. »

« Nous n’avons donc pas le choix : il nous faut exporter. Ceux de nos partenaires qui ont fait le choix de cesser de vendre des armes à tel ou tel pays non-européen n’ont pas la responsabilité particulière de la dissuasion nucléaire, ni une stratégie de présence militaire active en dehors de leurs frontières », a fait remarquer la ministre aux députés.

Ensuite, les exportations permettent deux choses : tisser des liens étroits avec des États stratégiques pour la sécurité de la France, comme l’Inde et l’Australie pour la région Indo-Pacifique, ou encore comme les Émirats arabes unis, où la France dispose d’infrastructures militaires, et garantir, en France, pas moins de 200.000 emplois directs et 400.000 emplois indirects. Selon Mme Parly, la base industrielle et technologique de défense représente 13% de l’emploi industriel en France.

« Je ne dis pas que l’argument économique justifie de faire n’importe quoi, loin s’en faut. Mais il est parfois un peu gênant de voir les mêmes beaux esprits qui étrillent la politique export du gouvernement parader ensuite au Bourget ou à Villepinte ou s’offusquer de l’emprise américaine sur les marchés d’équipement. En ce domaine comme en toute chose, un peu de cohérence ne nuit pas », a taclé Mme Parly.

Comme chacun sait, gouverner, ce n’est pas s’émouvoir, c’est prévoir

 

Ceci ayant été rappelé, la ministre a ensuite a résumé la problématique des ventes d’armes ainsi : « Comment le faire avec le maximum de discernement, pour préserver les intérêts de long terme de notre pays? », sachant que les contrats d’armement s’inscrivent dans le temps long [voire très long] et que, en fonction des alternances politiques où des changements de régime, l’attitude d’un pays peut évoluer. « En prenant nos décisions, nous devons soigneusement peser leurs conséquences. Ce n’est pas facile. Mais comme chacun sait, gouverner, ce n’est pas s’émouvoir, c’est prévoir », a-t-elle dit.

Quant à la polémique sur l’usage que fait, au Yémen, l’Arabie Saoudite des armes françaises qui lui ont été vendues, pour certaines il y a plusieurs dizaines d’années, Mme Parly n’est pas allée par quatre chemins. Et elle a constamment rappelé les faits et rien que les faits. Tout d’abord, elle a de nouveau indiqué que la priorité de la France est de faire tout son possible pour arriver à une solution politique au conflit yéménite.

Ensuite, a-t-elle affirmé, « nous n’avons jamais prétendu qu’aucune arme française n’était utilisée au Yémen. » Mais, a-t-elle continué, « nous n’avons aujourd’hui aucune preuve qui attesterait que des armes de fabrication française sont utilisées à dessein contre des populations civiles. » Ce que montre le conditionnel des notes de la Direction du renseignement militaire [DRM] publiées par Disclose [et que, visiblement, peu de personnes ont lu, ce qui les empêchent pas d’avoir un avis définitif…].

Puis, Mme Parly a souligné que « la plupart des équipements vendus à ces deux pays l’ont été bien avant la guerre au Yémen ». Et cela, a-t-elle expliqué, « parce que nous avons là-bas des intérêts de long terme, qui ne dépendent pas d’un dirigeant, pas d’un conflit, et qui dépassent même les pays dont il s’agit. » Et parmi ces intérêts, il y a les 40.000 Français expatriés dans la région du Golfe, dont 30.000 aux Émirats et en Arabie Saoudite, sans oublier la sécurité de l’approvisionnement énergétique de la France, via le détroit de Bab el Mandeb.

« Il en va aussi de la liberté de navigation, car au-delà de nos importations énergétiques, toute menace au large du détroit pèserait lourd sur le trafic maritime mondial : tout le flux de containers d’Asie y transite, au même titre que les approvisionnements à destination de La Réunion », a encore cité Mme Parly. Enfin, a-t-elle aussi fait remarquer, il y a aussi [et surtout] la lutte contre le terrorisme. « Rappelons que ceux qui luttent contre Al Qaïda dans la Péninsule arabique, sont ceux qui luttent contre une organisation qui a déjà frappé en France – je pense à Charlie Hebdo –, ce sont les Émirats », a-t-elle dit.

S’agissant plus précisément du conflit yéménite, la ministre s’en est tenue aux faits. « La guerre du Yémen, c’est d’abord l’histoire d’un coup d’État contre un gouvernement légitime, mené par une faction soutenue par l’Iran », a-t-elle encore rappelé. D’où l’appel du président Hadi, reconnu par la communauté internationale, à l’Arabie Saoudite et aux Émirats, pays par ailleurs menacés par des « missiles régulièrement tirés » par les rebelles ou encore par des drones et des « vedettes suicides ».

« Une fois la guerre déclenchée, quand nos partenaires utilisent la force d’une manière qui ne nous paraît pas compatible avec le droit international humanitaire, nous ne manquons pas de le leur dire », a ensuite précisé Mme Parly.

Aussi, « dans cette situation, il nous faut exercer notre discernement et « c’est dans cette optique que nous procédons à un examen sérieux de chaque dossier de vente d’armement qui nous est soumis », a assuré la ministre. Il est ainsi récemment arrivé qu’une demande de licence concernant des munitions air-sol ait été refusée.

Un membre du Gouvernement est comptable non de ses indignations, mais des intérêts de la France avant tout

 

Enfin, à la question de savoir si il faudrait « cesser toute relation d’armement avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis », Mme Parly a estimé que ce serait une mauvaise solution parce que « tout contact serait perdu avec ces États pour une génération au moins » et que « ce serait priver la France de partenaires stratégiques qui, à ses côtés, ont su jouer, jouent encore aujourd’hui et jouerons peut-être encore à l’avenir un rôle positif dans le règlement de certaines crises », comme le fit l’Arabie Saoudite avec les accords de Taëf, en 1989, au sujet du Liban. Une autre conséquence serait la fragilisation de l’action que mène la France contre le terrorisme, comme au Sahel… Riyad et Abu Dhabi soutenant les pays du G5 Sahel.

Aussi, « un membre du Gouvernement est comptable non de ses indignations, mais des intérêts de la France avant tout », a plaidé Mme Parly, d’autant plus que les licences d’exportations d’armements font l’objet d’un examen minutieux [sur la foi, d’ailleurs, des notes de la DRM] par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre [CIEEMG].

« De surcroît, soyons complets et réalistes : comme vous, j’entends certes dans certaines capitales les protestations de rigueur de vertus offusquées lorsqu’il s’agit des exportations françaises, mais j’observe que les mêmes responsables ignorent volontiers ce que font les filiales ou les joint ventures de leurs champions nationaux de l’armement. Pour ma part, je préfère m’en tenir à notre double exigence de clarté et de cohérence », a-t-elle encore soutenu, en visant, sans les nommer, les pratiques de certains industriels allemands.

« Je ne suis pas une lobbyiste de l’industrie française de l’armement, mais j’invite chacun à prendre en compte l’ensemble des intérêts de la France dans ces affaires, ceux d’aujourd’hui comme ceux de demain, qui vont au-delà de l’horizon d’une législature », a conclu la ministre.

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