Le président Macron assume les livraisons d’équipements militaires français à l’Arabie Saoudite

En sachant qu’il tomberait sous le coup de l’article 413-10 du code pénal pour avoir publié deux notes confidentielles de la Direction du renseignement militaire [DRM] relatives à l’usage que feraient, au Yémen, les forces saoudiennes et émiraties des armes qui leur ont été livrées par la France, le nouveau média d’investigation Disclose voulait « ouvrir un débat équilibré sur les contrats d’armements liant l’État français à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis. » Et il est arrivé à ses fins.

Cela étant, étant donné que les notes de la DRM produites par Disclose usent et abusent du conditionnel, il est difficile d’arriver à des conclusions définitives. Ce que certains ne manquent pas de faire…

Dans l’introduction de son enquête, intitulée « Yemen Papers », le média d’investigation affirme que les documents en question « prouvent que des armes françaises peuvent tuer des civils au Yémen ». Ce que Mediapart traduit par « emploi massif d’armes françaises dans la guerre au Yémen. » Autre exemple : dans une vidéo, le député François Ruffin avance que la France a vendu des chars Leclerc à l’Arabie Saoudite… Alors que c’est totalement faux puisque les Émirats arabes unis ont été les seuls clients à l’exportation. Sans doute qu’une lecture plus attentive des documents de la DRM aurait permis d’éviter ce genre d’impair [et M. Ruffin n’est pas le seul à faire des confusions].

Quoi qu’il en soit, lors de la séance des questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, le 7 mai, le député [communiste] de Seine-Maritime, Jean-Paul Lecoq, a interpellé le Premier ministre, Édouard Philippe, au sujet de la nature de la cargaison devant être chargée à bord du cargo saoudien Bahri Yanbu, alors attendu au port du Havre, après avoir fait une escale à Anvers [Belgique] où il aurait embarqué des armes de facture belge.

Selon le député, la mission du navire saoudien serait de transporter jusqu’au port de Djeddah « des pièces d’artillerie de fabrication française ». Et Disclose assure qu’il s’agirait de 8 CAESAr [Camions équipés d’un système d’artillerie de 155 mm]. Les forces saoudiennes en ont d’ailleurs déjà déployés à la frontière avec le Yémen. [Au passage, il aurait été intéressant de préciser le type de châssis de ces véhicules : Mercedes Unimog? Arquus? Ashok Leyland?]

Le Premier ministre a laissé le soin à Geneviève Darrieussecq, la secrétaire d’État aux Armées, de répondre au parlementaire. « Le gouvernement n’a jamais nié l’existence d’armes d’origine française au Yémen », a-t-elle dit. « Nous n’avons pas de preuves que ces armes sont employées contre les populations civiles », a-t-elle ajouté [d’où le « conditionnel » des notes de la DRM, ndlr].

Qaunt au Bahri Yanbu, Mme Darrieussecq a botté en touche. « il n’est pas étonnant qu’un cargo saoudien s’y arrête » car le Havre est « un port majeur qui entre autre accueille les cargos des pays du Golfe et dessert la région du Moyen-Orient », a-t-elle dit. Ce qui a provoqué un mouvement d’humeur parmi les députés de gauche, qui ont quitté l’Hémicycle.

Par ailleurs, une source gouvernementale, citée par l’AFP, a précisé que le cargo Bahri Yanbu n’allait pas charger de CAESAr « puisqu’il n’y a aucune livraison [de ce système] en cours. » Or, Disclose affirme, via les réseaux sociaux, que « cette source a été contredite le lendemain par la ministre des Armées en personne ». Ce qui n’est pas tout a fait exact.

En effet, sur les ondes de RMC et de BFMTV, Florence Parly, la ministre des Armées, a confirmé qu’il « y aura un chargement d’armes » à bord du Bahri Yanbu, « en fonction et en application d’un contrat commercial qui a été passé il y a plusieurs années ». Mais elle n’a pas précisé la nature des armes en question… « Je ne suis pas en charge de la surveillance des cargaisons, c’est une autre administration qui est en charge de ça », a-t-elle répondu.

Et Mme Parly a répété ce qu’elle dit à chaque fois qu’elle est interrogée sur ce sujet : « À ma connaissance, nous n’avons pas de preuves selon lesquelles des victimes au Yémen sont le résultat d’utilisation d’armes françaises. » Et de rappeler que ces ventes d’armes font partie de « partenariats à long terme avec l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis » et que « la France a des intérêts dans cette zone du monde. »

Alors que l’association « Action des chrétiens pour l’abolition de la torture » [ACAT] a saisi la justice pour empêcher le chargement du cargo saoudien au Havre, le président Macron a évoqué le sujet des ventes d’équipements militaires à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis à son arrivée à Sibiu [Roumanie], où il doit prendre part à un sommet européen.

« L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis sont des alliés de la France. Et ce sont des alliés dans la lutte contre le terrorisme. Nous l’assumons totalement », a affirmé M. Macron. Quant aux ventes d’armes, il a rappelé qu’un « comité [le CIEEMG, ndlr] gère ces exportations, « sous l’autorité du Premier ministre, dans lequel les choses d’ailleurs ont été durcies ces dernières années, et où nous demandons la garantie que ces armes ne puissent pas être utilisées contre des civils. » Et « elle a été obtenue », a-t-il assuré.

« Il est tout à fait vrai que la France, depuis plusieurs années – au plus fort il y a cinq, six ans, dans les contrats qui ont été faits à l’époque – a vendu des armes à la fois aux Emirats arabes unis et à l’Arabie saoudite », a aussi déclaré le président Macron.

« L’essentiel des armes qui ont été vendues sont plutôt utilisées à l’intérieur du territoire ou à la frontière mais elles sont utilisées dans le cadre d’un conflit « , a-t-il concédé. « Néanmoins, je tiens ici à dire ce que nous avons fait, c’est-à-dire d’avoir la garantie que ce ne soit pas utilisé contre des populations civiles », a-il ensuite fait valoir.

« Mais je veux être très clair : on doit être dans les moments difficiles du côté de nos alliés, et la guerre contre le terrorisme est pour nous prioritaire », a insisté M. Macron.

Pour autant, a-t-il continué, ce sujet soulève un « conflit moral » qui peut être surmonté d’une part « en faisant la transparence et en étant exigeant avec nos partenaires », alliés dans la lutte « contre le terrorisme », et d’autre part en « nous engageant davantage dans la résolution du conflit au Yémen », notamment aux côtés des Nations-Unies.

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