La France estime que les conditions sont loin d’être réunies pour le porte-avions européen proposé par Berlin

En mars, la présidente du parti chrétien-démocrate allemand [CDU], Annegret Kramp-Karrenbauer, a fait deux propositions tout aussi irréalisables l’une que l’autre : obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies pour l’Union européenne [ce qui est impossible puisque seuls des États ont le droit d’y siéger] et construire un porte-avions européens afin de « souligner le rôle de l’UE dans le monde en tant que puissance garante de sécurité et de paix. »

Pour Mme Kramp-Karrenbauer, une telle proposition coule de source : puisque la France et l’Allemagne développent en commun un nouvel avions de combat, alors il serait logique qu’elles en fassent de même pour un porte-avions. Or, les deux sujets n’ont pas rien à voir. « Un idéaliste est quelqu’un qui, parce qu’une rose a meilleure odeur qu’un chou, en conclut qu’elle fera un meilleur potage », disait l’essayiste américaine Henry Mencken…

Interrogé sur cette idée de construire un porte-avions européen lors d’une audition devant les députés de la commission de la Défense, l’amiral Jean-Philippe Rolland, le commandant de la force d’action navale [ALFAN] ne s’est pas prononcé sur le plan politique. En revanche, il a dressé la liste des défis opérationnels qu’il faudrait relever.

« Il faut commencer par viser un groupe aéronaval européen, ce qui ne signifie pas pour autant que le porte-avions lui-même serait européen. Pour diverses raisons, il est compliqué de construire un porte-avions à partager, car chaque pays a ses spécificités culturelles », a répondu l’amiral Rolland.

Effectivement, un groupe aéronaval européen paraît le plus abordable. D’autant plus que c’est déjà une réalité puisque l’escorte du porte-avions Charles de Gaulle accueille ponctuellement des navires européens. « Beaucoup de pays recherchent notre groupe aéronaval. Quand un équipage participe au déploiement d’un groupe aéronaval, il monte en effet instantanément à un niveau de maîtrise des compétences qu’il ne peut atteindre dans d’autres circonstances », a d’aulleurs souligné l’amiral Rolland.

Cependant, a encore expliqué ce dernier, « c’est lorsqu’on aborde la question de la doctrine d’emploi que les choses se compliquent » et « quand on a des bras puissants, il est préférable d’avoir un seul cerveau : l’emploi de la force suppose en effet une volonté ferme et une certaine constance. »

Or, a ajouté ALFAN, « dans les différentes opérations […] que nous avons menées en coalition, sous la bannière de l’Otan, de l’Union européenne ou de l’ONU, nous avons souvent buté sur des restrictions, des caveats, qui ont fait que certaines règles de comportement et d’engagement, souvent les plus sensibles, n’ont pas été validées par les autorités politiques respectives des différentes nations participantes. »

Aussi, pour l’amiral Rolland, Il faudrait « renforcer la confiance mutuelle pour que ces restrictions deviennent exceptionnelles et qu’elles cessent d’être une gêne pour le commandant tactique à la mer. »

Cela étant, [et sauf erreur] l’idée avancée par Mme Kramp-Karrenbauer et soutenue par la chancelière allemande, Angela Merkel, n’avait jusqu’à présent pas reçu de réponse au niveau politique de la part de la France. C’est désormais chose faite.

« Je crois qu’on n’en est pas encore tout à fait là », a ainsi répondu Florence Parly, la ministre des Armées, alors qu’elle était interrogé sur cette proposition allemande sur les ondes de RMC, ce 8 mai.

« Il faut réfléchir d’abord à ce que pourraient être les conditions d’emploi d’un porte-avions européen », a ensuite estimé Mme Parly. Car, a-t-elle continué, ‘une chose est de le construire à plusieurs, une autre de le mettre sous un commandement européen. Là, c’est beaucoup plus compliqué », a-t-elle relevé.

« Passer sous un commandement européen supposerait de se mettre d’accord sur des règles d’emploi communes. Nous n’y sommes pas encore tout à fait même si nous avons fait énormément de progrès », a ensuite fait valoir Mme Parly.

En outre, il n’y a pas que les aspects opérationnels qu’il faut prendre en compte. Les questions capacitaires [quel type de porte-avions veut-on, et avec quels avions à mettre dessus?] et industrielles seraient également déterminantes.

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