Pour l’État-major des armées, l’innovation ne tend pas forcément vers « plus de technologie »
L’innovation est l’une des priorités du ministère des Armées, lequel a pris plusieurs mesures pour la favoriser, la plus emblématique d’entre-elles étant la création de l’Agence de l’Innovation de Défense [AID] au sein de la Direction générale de l’armement [DGA].
La Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 prévoit d’ailleurs un effort conséquent dans ce domaine, le budget dédié aux études et à l’innovation devant passer de 730 millions à 1 milliard d’euros par an d’ici 2022. Aussi, il n’est guère surprenant que l’État-major des armées [EMA] en ait fait l’une de ses trois « stratrégies transverses » dans le plan stratégique qu’il a dévoilé la semaine passée.
Cette stratégie dédiée à l’innovation fixe deux objectifs : « mobiliser l’ensemble des acteurs de l’innovation de défense au service de la finalité des armées » et « libérer les énergies et décloisonner les processus dans les armées pour conserver la supériorité conceptuelle, organisationnelle et technologique. »
Pour le premier objectif à atteindre, il est question de travailler « en synergie » avec l’Agence de l’innovation de défense [ce qui n’est pas surprenant, ndlr], de renforcer les liens avec les entreprises et de « profiter des partenariat et des alliances pour innover ensemble ».
S’agissant de ce dernier point, l’idée est d’exploiter « au mieux les opportuniés qui se mettent en place avec nos partenaires alliés et européens ». Il s’agit de profiter du Fonds européen de défense [FED], dont 4 à 8% des 13 milliards proposés par la Commission européenne pour la période 2021-27 devraient être affectés à « l’innovation de rupture à haut risque », ainsi que de bénéficier du programme « Europe numérique », en particulier dans les domaines de l’intelligence artificielle et de la cyber-sécurité. Enfin, au niveau de l’Otan, l’EMA veut s’appuyer sur « l’innovation Hub » qui, créé au sein du commandement transformation [ACT], repose sur un réseau d’une cinquantaine startups, universités et autres centres d’excellence.
Quant au second objectif, les mesures de l’EMA pour l’atteindre visent avant tout à encourager les militaires à innover, notamment avec le « décloisonnement des structures, la simplification des procédures et la libération des initiatives. » En outre, est-il souligné dans ce plan stratégique, le « risque d’échec doit être accepté dès lors qu’il est analysé et exploité » et la « mobilisation de moyens financiers doit être facilitée pour acheter plus vite et mieux, y compris aux échelons les plus déconcentrés de l’écosystème innovation. »
Pour l’EMA, l’innovation permet « d’acquérir la supériorité opérationelle » et concourt « au progrès dans la préparation et l’emploi des armes ». Et si elle « n’est jamais une fin en soi », elle est un « moyen pour imposer sa volonté à un adversaire qui lui aussi innove. » Par conséquent, « elle répond à un besoin militaire prioritairement exprimé à partir des défis rencontrés ou envisagés par les acteurs opérationnels. »
Cependant, le plan stratégique de l’EMA insiste sur une notion clé : la « résilience » [le mot y est cité à au moins sept reprises]. Et cela suppose que les armées doivent être capables de fonctionner en « mode dégradé », c’est à dire en se passant de leurs sytèmes les plus technologiquement avancés.
Le retour d’expérience [RETEX] relatif au déploiement d’un sous-groupement tactique interarmes [S/GTIA] en Estonie, en 2017, avait souligné cette nécessité. « Nos unités doivent être formées, ne pas relâcher les efforts dans le domaine de l’hygiène informatique comme les bonnes pratiques sur les réseaux et développer la capacité de travailler en mode dégradé, comme s’orienter avec une carte et non un GPS! », pouvait-on y lire.
Aussi, estime l’EMA, « l’innovation ne tend pas nécessairement vers toujours plus de technologie. » Et d’ajouter : « Les armées inventent dans l’adversité. Elles ont besoin d’innover en matière de réversibilité afin de pouvoir continuer à opérer [et à innover] en mode dégradé et dans la durée. » C’est ce que, autrefois, on appelait le « système D » [D pour « débroullardise »].