L’Allemagne prolonge le gel des ventes d’armes à l’Arabie Saoudite

Le 8 octobre 2016, le village yéménite de Deir al-Hajari fut la cible d’un bombardement, probablement effectué par la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite. Et l’examen des fragments retrouvés d’une bombe ayant provoqué la mort d’une famille de six personnes permit de déterminer son origine : selon toute vraisemblance, la munition avait été produite par RMW Italia. Ce qui valut à cette entreprise d’armement italienne de faire l’objet d’une plainte, déposée par plusieurs ONG auprès du parquet de Rome.

Or, comme l’avait souligné le quotidien Il Manifesto, il se trouve que RMW Italia est une filiale du groupe allemand Rheinmetall. Et de dénoncer ainsi « l’hypocrisie » de l’Allemagne, qui « applique strictement l’interdiction des exportations d’armes vers le Yémen, mais uniquement pour les usines situées sur son territoire. »

Ainsi, avait poursuivi le journal, l’Allemagne « laisse la filiale italienne du groupe allemand Rheinmetall se débrouiller avec les lois et l’opacité des autorités italiennes. » Mais ce n’est pas un cas isolé.

Plus récemment, soit en octobre dernier, et suite à l’affaire Khashoggi, la chancelière allemande, Angela Merkel, a décidé de suspendre les livraisons d’armes destinées à l’Arabie Saoudite. Ce qui suppose le gel de toutes les licences d’exportations, y compris pour les composants produits en Allemagne pour le compte d’industriels européens. Toutefois, cela n’empêche nullement Rheinmetall de continuer à produire et à vendre des munitions aux forces saoudiennes : le groupe allemand, via sa filiale sud-africaine Denel Munition [RDM], dispose d’une usine en Arabie Saoudite, dont la capacité quotidienne de production est de 300 obus d’artillerie et de 600 obus de mortier.

En attendant, le « moratoire » sur les ventes d’équipements militaires destinés à l’Arabie Saoudite [et plus largement aux pays engagés au Yémen] met les industriels européens dans l’embarras. Tel est le cas de BAE Systems et de MBDA, qui ne peuvent pas honorer une commande portant sur 48 avions Eurofighter Typhoon, dotés de missiles air-air Meteor. Le chef de la diplomatie britannique, Jeremy Hunt, a alors dénoncé le « manque de loyauté » de Berlin.

Aussi, les pays européens concernés par cette politique restrictive [et à géométrie variable] de l’Allemagne ont cherché à mettre la pression sur le gouvernement allemand. La dernière initiative en date est celle d’Anne-Marie Descôtes, l’ambassadrice de France à Berlin. « La question des exportations d’armes est souvent traitée comme une affaire intérieure en Allemagne, ce qui a de graves conséquences pour notre coopération bilatérale en matière de défense et pour le renforcement de la souveraineté de l’Europe « , a-t-elle fait valoir, via une tribune publiée par l’Institut fédéral des hautes études de sécurité [Bundesakademie für Sicherheitspolitik der Bundeswehr – BAKS]. Et d’estimer que les projets d’armement franco-allemand pourraient être menacés…

« Hypocrisie », « démagogie », « manque de loyauté », « imprévisilité »… Les mots n’ont pas manqué pour qualifier l’attitude allemande, en particulier dictée par des impératifs de politique intérieure et la position des sociaux-démocrates du SPD. Pour autant, aucun n’a fait flanché Berlin.

En effet, le 28 mars, le gouvernement allemand a annoncé sa décision de prolonger son gel des ventes d’armes destinées aux forces saoudiennes juqu’au 30 septembre prochain. Mais cette mesure ne concerne que les équipements totalement produits outre-Rhin. Car, s’agissant des « programmes communautaires dont la licence a expiré et les autorisations collectives d’exportation liées à l’Arabie saoudite et aux Émirats Arabes Unis seront prolongés de neuf mois [donc jusqu’au 31 décembre 2019] sous réserve des consultations requises avec les partenaires au cours de cette période. »

« Dans le cadre de ses consultations avec ses partenaires, le gouvernement fédéral veillera à ce que les armements produits conjointement ne soient pas utilisés pour la guerre au Yémen et à ce qu’au cours de la prolongation de neuf mois, aucun équipement militaire issu de ces programmes communautaires ne soit livré à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis », précise encore le communiqué de la Chancellerie allemande.

Photo : Patrouilleur CSB40, commandé à 146 exemplaires par l’Arabie Saoudite auprès du constructeur allemand Lürssen Defense. Le gouvernement allemand s’est engagé à trouver une solution pour les bateaux qui n’ont pas encore été livrés.

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