La France songe à se doter de moyens pour exercer son droit à la légitime défense dans l’espace

Cela fait maintenant longtemps que l’espace est militarisé dans le mesure où il est largement fait appel aux satellites pour mener des opérations au sol, que ce soit en matière de renseignement, de surveillance et de communication.

Or, si la « militarisation » des activités spatiales est un fait ancien [elle a en réalité commencé dès la mise en orbite du satellite soviétique Sputnik, étant donné que son lanceur était un missile balistique intercontinental soviétique R-7 Semiorka, ndlr], on assiste actuellement à une « arsenalisation » progressive de l’espace, ce qui est un phénomène nouveau. Auteurs d’un rapport sur ce sujet, les députés Olivier Becht et Stéphane Trompille estime qu’il s’agit même d’une « tendance de fond qui représente un risque. »

Le Traité sur l’Espace de 1967 prohibe seulement le placement sur orbite d’armes de destruction massive [mais pas leur transit]. En clair, il ne permet pas, à l’heure actuelle, d’empêcher cette arsenalisation et le fait que l’espace est en train de devenir un milieu d’opérations en tant que tel. Et on peut supposer qu’un éventuel conflit de haute intensité s’y étendra afin de priver l’adversaire de l’avantage qu’il tire de ses capacités spatiales.

Dans ces conditions, a expliqué le général Michel Friedling, le chef du Commandement interarmées de l’Espace, lors d’une audition au Sénat, les grandes puissance spatiales « améliorent leurs capacités et développent des systèmes visant la conduite d’actions dans l’espace », lesquelles peuvent aller de la neutralisation à la destruction de satellites.

« Les points de vulnérabilité de nos capacités peuvent être les segments-sol, comme les infrastructures physiques ou les opérateurs, les segments spatiaux, – c’est-à-dire les satellites eux-mêmes constitués soit de la plateforme, soit des charges utiles – les moyens de communication entre les segments spatiaux et le sol, ou encore les parties logicielles », a ensuite développé le général Friedling.

Parmi ces menaces, la ministre des Armées, Florence Parly, en a évoqué une : l’approche du satellite franco-italien de communications militaires Athena-Fidus par l’engin russe LUCH-OLYMP à des fins d’espionnage. Mais elle n’est évidemment pas la seul. Il y a également, a détaillé le général Friedling, les « menaces cyber, que peuvent fomenter des États par ailleurs dépourvus de capacités spatiales, des opérations de brouillage ou d’aveuglement et des armes de destruction à énergie dirigée, comme les lasers, et les armes à impulsion électromagnétique ou des micro-ondes à forte puissance. »

Sur ce dernier point, a-t-il rappelé, « les Russes ont développé les lasers aéroportés SOKOL sur plateforme Iliouchine 76 ainsi qu’un laser dénommé PERESVET », lequel « pourrait avoir une capacié anti-satellite ».

Pour compléter la liste des menaces, on peut citer des satellites ou des drones spatiaux [comme le X-37 américain] qui, présenté comme étant expérimentaux « pourraient être capables d’actions de neutralisation. » Selon le général Friedling, ces engins »dotés de bras robotisés sont capables de se déplacer sur les orbites géostationnaires et de s’approcher particulièrement près d’autres satellites en orbite pour mettre en oeuvre des charges de neutralisation à courte portée ou de s’y arrimer pour les neutraliser à l’aide de leurs bras articulés. »

En outre, il faut également prendre compte les missiles antisatellites [les États-Unis et la Chine ont une telle capacité, ndlr] ainsi que, selon le commandant interarmées de l’espace, les « satellites civils non étatiques mais utilisés à des fins militaires », lesquels « peuvent également constituer des menaces, ce qui pose un problème d’attribution d’une éventuelle action hostile à un État. »

Face à cette « arsenalisation » de l’espace, quelle peut être la vision stratégique française dans ce domaine? La stratégie que le président Macron avait demandée d’établir en juillet 2018 n’a pas été rendue publique. Toutefois, le général Friedling en a brossé les grandes lignes.

Ainsi, en premier lieu, il s’agit d’améliorer la capacité des forces françaises à surveiller l’espace ainsi qu’à identifier et caractériser des objets spatiaux. Actuellement, elles disposent pour cela des radars GRAVES et SATAM, sans oublier les télescopes TAROT [Télescope à action rapide pour les objets transitoires] du CNRS et GEOTRACKER d’Ariane Group. Selon le général Friedling, il est donc question d’aller plus loin en misant sur une coopération européenne.

« Les Européens qui ont un intérêt collectif à disposer d’une surveillance efficace d’un espace exo-atmosphérique. Nous devons donc bâtir ensemble une future capacité européenne de connaissance de la situation spatiale, suffisamment précise pour permettre la détection et l’identification des tous les objets spatiaux, y compris les débris de petite taille », a expliqué l’officier.

Autre axe de cette stratégie : travailler à la « définition de règles de comportements responsables et à la promotion d’un bon usage de l’espace, en développant une stratégie commune avec nos alliés », avec l’objectif d’éviter, ou du moins de minimiser, les risques de malentendus. Le général Friedling a évoqué d’autres mesures « souhaitables », comme « renforcement de la coopération avec nos partenaires européens, visant l’utilisation pacifique de l’espace, la promotion d’une régulation pragmatique du milieu spatial – via le développement du Space Trafic Management – et, enfin, l’élaboration d’une politique déclaratoire robuste pour décourager les actions illégales ou franchement hostiles. »

Cependant, la question de la protection des satellites utilisés par les forces françaises reste toujours posée. La solution la plus évidente passe par le « durcissement » de ces derniers et de renforcer la résilience des moyens spatiaux. Mais ce n’est pas encore suffisants.

« Pour exercer notre légitime défense dans l’espace, comme le droit international nous le permet, il n’est pas exclu de réfléchir aux réponses à apporter à des actes hostiles particulièrement graves contre nos capacités spatiales », a indiqué le général Friedling. « Cette réponse pourrait avoir différentes formes et un changement doctrinal consisterait à passer des opérations depuis l’espace à des opérations dans l’espace », a-t-il ensuite précisé.

Évidemment, a-t-il insisté, il ne serait pas question, pour la France, de « se lancer dans une course aux armements contraire aux principes internationaux qui régissent les activités spatiales et à notre vision du monde, mais d’exercer un droit de légitime défense, comme cela est autorisé par la charte des Nations-Unies. »

A priori, et selon les propos du général Friedling, aucune décision allant dans ce sens n’a encore été prise. « Si notre capacité à exercer une légitime défense dans l’espace venait à être renforcée, il faudra travailler sur la question des équipements. Plusieurs options figurent dans le rapport qui vient d’être transmis à la Présidence de la République et feront l’objet d’un arbitrage », a-t-il précisé.

Dans leur rapport sur le « secteur spatial de défense », les députés Olivier Becht et Stéphane Trompille ont avancé plusieurs pistes, dont certaines présentent plus d’inconvénients que d’avantages [comme les armes cinétiques et laser, par exemple]. Mais celle qui paraîtrait la plus pertinente serait celle consistant à mettre au point des véhicules spatiaux inhabités et manœuvrants. Certains projets sont d’ailleurs en cours dans un cadre civil, comme le Space Rider, développé par Thales Alenia Space avec le soutien de Dassault Aviation [qui capitalise sur le programme défunt Hermès] ou encore le Space Tug d’Airbus Defence & Space, destiné aux orbites géostationnaires.

D’ailleurs, d’après les députés, Airbus Defence & Space « pourrait fournir aux armées un ‘géocroiseur’, c’est-à-dire un engin capable de dériver dans les orbites géostationnaires pour des missions de reconnaissance et de captation d’images dans ces orbites. » Et d’ajouter : « L’industriel indique en effet posséder un ensemble de solutions technologiques dont il se fait fort de pouvoir présenter une démonstration dans des délais réduits. »

Photo : Space Rider (c) J. Huart, ESA

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