Pentagone : L’achat de systèmes russes de défense aérienne exposera la Turquie à de « graves conséquences »

En juin 2018, la force aérienne turque recevait ses premiers F-35A à Fort Worth [Texas], ce qui lui permettait de commencer la formation de ses pilotes sur ce nouvel avion sur la base aérienne de Luke [Arizona]. Seulement, ces appareils ne sont actuellement pas autorisés à quitter le territoire américain. En cause? L’achat par la Turquie du système de défense aérienne russe S-400, incompatible avec ceux mis en oeuvre par l’Otan.

« C’est une préoccupation importante, non seulement pour les États-Unis, car nous devons protéger cette technologie de pointe mais aussi pour tous nos partenaires et alliés qui ont déjà acheté le F-35 », avait ainsi prévenu Heidi Grant, alors sous-secrétaire adjointe de l’US Air Force pour les affaires internationales, dès novembre 2017.

En effet, le risque est que, via ce contrat relatif aux batteries S-400, la Russie puisse obtenir des informations confidentielles non seulement sur le F-35, justement conçu pour contrer les défense aériennes adverses, mais aussi sur les autres systèmes utilisés par l’Otan

Pour convaincre la Turquie de renoncer aux S-400 russes, les États-Unis lui ont proposé des systèmes Patriot PAC-3 pour 3,5 milliards de dollars, avec, à la clé, des transferts de technologie et une co-production. Mais pour le président turc, Recep Tayyip Erdogan, le dossier est clos.

« Au sujet des S-400, nous avons finalisé l’affaire, il ne peut y avoir un retour en arrière. Nous nous sommes entendus avec les Russes sur la production en commun, et peut-être qu’après les S-400, on discutera des S-500 », a en effet affirmé M. Erdogan, lors d’une émission télévisée diffusée le 6 mars.

Deux jours plus tôt, lors d’une audition au sénat américain, le général Curtiss Scaparrotti, le commandant suprême des forces alliées en Europe [SACEUR], avait déclaré que la livraison de systèmes S-400 à la Turquie [membre de l’Otan depuis 1952, ndlr] bloquerait celle des F-35A à la force aérienne turquie, qui en attend 100 exemplaires.

« Le meilleur avis militaire que je puisse donner est que dans ce cas, nous ne pouvons pas permettre au F-35 de voler […] avec un système anti-missile russe », a ainsi fait valoir le général américain. D’ailleurs, a-t-il aussi affirmé, « c’est un problème pour tous nos avions, pas seulement pour le F-35. »

« Si la Turquie prend les S-400, il y aura de graves conséquences en ce qui concerne nos relations, nos relations militaires », a enchéri Charles Summers, un porte-parole du Pentagone, lors d’un point de presse, le 8 mars. « Ils [les Turcs] ne pourront pas avoir les F-35 et les (systèmes) Patriot », a-t-il insisté.

Seulement, la Turquie est un partenaire de niveau 3 du programme F-35, avec l’implication d’une dizaine d’industriels turcs et des retombées évaluées à 12 milliards de dollars. Pour autant, le Pentagone estime qu’un retrait turc aurait des conséquences limitées.

« Bien que cela aura un impact sur le programme F-35, je ne pense pas qu’il sera dévastateur si… il est décidé politiquement qu’ils [les Turcs] ne seront plus partenaires », a en effet affirmé Heidi Grant, en décembre 2018, soit avant de prendre la direction de Defense Technology Security Administration.

Cela étant, Washington a d’autres leviers pour convaincre Ankara, qui semble s’éloigner de l’Alliance atlantique pour mieux se rapprocher avec Moscou. Ce qui pose, par ailleurs, la question de l’accès aux détroits menant à la mer Noire. « La Turquie est un allié important de l’Otan, mais elle doit également agir comme tel », avait toutefois estimé le sénateur républicain James Inhofe, président de la commission sénatoriale des Forces armées.

Quoi qu’il en soit, le 4 mars, l’administration Trump a décidé de mettre un terme aux accords commerciaux préférentiels passés avec la Turquie [programme SGP]. Ces derniers permettaient aux industriels turcs d’avoir un accès privilégié au marché américain, grâce à des dispenses de taxes douanières. L’Inde, qui a également commandé des systèmes S-400 à la Russie [et qui s’apprête à louer un autre sous-marin nucléaire d’attaque] a aussi fait l’objet d’une telle mesure.

« Durant les quatre décennies et demi où la Turquie a bénéficié du statut de SGP pour les pays développés, l’économie turque s’est développée et s’est diversifiée », a fait valoir la Maison Blanche, pour justifier sa décision.

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