Le président Trump a signé une directive visant à établir une « force spatiale »

Assurer être hostile à l’arsenalisation de l’espace tout en y contribuant : telle est l’ambiguïté [ou l’hypocrisie] de certaines puissances, comme par exemple la Chine, qui a testé une arme anti-satellite en 2007, ou de la Russie, qui développe le missile A-235 Nudol.

Cela étant, le droit international est plutôt flou en la matière. Ou du moins donne-t-il lieu à des interprétations différentes. Ainsi, comme l’a indiqué Henry Hertzfeld, professeur à l’institut
d’études spatiales de l’Université George Washington, dans un récent rapport publié par les députés Oliver Becht et Stéphane Trompille, rien « n’interdit l’arsenalisation de l’espace en soi », seul étant prohibé le placement en orbite d’armes nucléaires [mais pas leur transit].

Aussi, pour beaucoup de spécialistes des questions spatiales, la non-arsenalisation est un mythe car, selon MM. Brecht et Trompille, « rien n’empêche la neutralisation ou la destruction d’objets orbitaux depuis le sol. »

D’où le projet, aux États-Unis, de créer une « force spatiale » qui deviendrait une 6e branche des forces armées américaines. Selon le professeur Hertzfeld, il s’agit ainsi de « faire passer à la communauté spatiale l’idée de warfare dans l’espace », ce qui est une « nouveauté ».

Ce projet de créer une « force spatiale » fut d’abord porté par deux élus du Congrès en juillet 2017. Mais, à l’époque, James Mattis, alors chef du Pentagone, s’y était opposé, tout comme l’US Air Force, actuellement chargée des opérations militaires américaines dans l’espace. Seulement, le président Trump reprit l’idée à son compte. Et il ordonna, en conséquence, de prendre les dispositions nécessaires pour la mettre en oeuvre.

Mais la création de cette 6e branche des forces armées américaines doit se faire par étapes. Ainsi, en décembre dernier, le chef de la Maison Blanche ordonna la réactivation de l’US Space Command, qui avait été dissous en 2002. « Il développera une doctrine spatiale, des tactiques, des techniques et des procédures qui permettront à nos combattants de défendre notre nation dans ce nouveau domaine », précisa Mike Pence, le vice-président américain, à l’occasion d’un discours prononcé au Kennedy Space Center.

Puis, le 19 février, M. Trump a signé la directive sur la politique spatiale n°4 [SPD-4], laquelle précise la structure qu’aura la future US Space Force si jamais la création de cette dernière est approuvée par le Congrès, ce qui est loin d’être gagné dans la mesure où représentants et sénateurs ne sont pas tous convaincus de la nécessité d’aller dans cette direction.

Quoi qu’il en soit, selon cette SPD-4, à l’instar de l’US Marine Corps, qui relève du secrétaire à la marine [Navy], cette force spatiale, qui aura son propre chef d’état-major, dépendra du secrétaire à l’Air Force. Mais il n’est pas exclu qu’elle puisse s’émanciper de cette tutelle à l’avenir.

Actuellement, selon le représentant Mike Rodgers, fervent partisan de cette force spatiale, « 90 % des moyens spatiaux du Pentagone relèvent de l’US Air Force ». Mais ces derniers feraient l’objet d’arbitrages souvent défavorables car, dit-il, « la mission de défense spatiale est et restera toujours secondaire dans les missions de l’Air Force, façonnée par la culture de la supériorité aérienne dans le combat d’aviation, et non sur les enjeux spatiaux. »

Cependant, ce point de vue ne fait pas l’unanimité. Ancien astronaute et pilote de l’US Navy, Mark elly, qui a annoncé sa candidature au Sénat, a estimé que l’idée de créer une force spatiale était « idiote » étant donné qu’elle allait exiger d’importants moyens [le montant de 13 milliards de dollars a été avancé, rien que pour sa mise en place, ndlr] alors que l’US Air Force « fait déjà le travail ». « Quelle est la prochaine étape? Nous déplaçons les sous-marins vers une 7ème branche qu’on appelerait ‘force sous-marine’? », demande-t-il.

Quoi qu’il en soit, et comme attendu, la mission de cette force spatiale sera de protéger les satellites américains contre toute attaque et tentative de brouillage ou de piratage ainsi que de développer des capacités offensives afin de « dissuader toute agression » contre les États-Unis et leurs alliés.

« Nous devons être prêts », a fait valoir M. Trump, lors de la signature de cette directive. « Mon gouvernement a fait de la création d’une force spatiale une affaire de sécurité nationale […] Nos adversaires sont dans l’espace, que cela nous plaise ou non. Ils le font, et nous aussi. Et ce sera une grande partie des activités défensives et même offensives de notre pays mais restons gentils et parlons de la défense de notre pays », a-t-il expliqué.

« Nous avons beaucoup d’armes nouvelles défensives et offensives créées spécialement pour cela et nous allons désormais commencer à les exploiter », a encore ajouté M. Trump.

Selon l’ambassadeur des États-Unis en France, cité dans le rapport MM. Becht et Trompille, le projet visant à créer une force spatiale américaine « peut constituer un signal adressé aux compétiteurs stratégiques des États-Unis et comme une façon d’assumer une forme d’arsenalisation de l’espace et des postures offensives plus affirmées » et il « fait immanquablement écho à l’initiative de défense stratégique, ou ‘guerre des étoiles’, avancée par le président Reagan au temps de la Guerre Froide. » Et d’ajouter : « Ce faisant, il renvoie à une vision clairement non-coopérative des rapports internationaux », c’est à dire une « sorte de nouvelle guerre froide dans laquelle la Chine serait le nouvel adversaire stratégique. »

Reste qu’il faudra encore convaincre le Congrès. Comme les critiques de Mark Kelly le montrent, ce projet de force spatiale ne manque pas d’opposants. Sans doute s’appuieront-ils sur les arguments autrefois développés par James Mattis, qui fit valoir, en 2017, qu’un « service séparé aurait vraisemblablement une conception plus étroite des opérations dans l’espace, voire un esprit de clocher. » De tels débats ne sont pas nouveaux aux États-Unis. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre, l’US Army [dont l’US Air Force était alors une de ses composantes] avait plaidé pour la dissolution de l’US Marine Corps, au motif que ce dernier empiétait sur ses capacités tout en lui disputant moyens, missions et prestige.

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