Pour le chef de la force aérienne suédoise, le Gripen a été conçu pour « tuer » les avions de combat russes Sukhoï

« Beaucoup de gens pensent que ‘furtivité’ veut dire ‘invisible’. Mais il n’y a qu’un seul produit invisible au monde : la cape d’invisibilité de Harry Potter », affirmait Anders Lindere, un responsable du groupe suédois Saab, dans un article publié en avril 2017. Et d’ajouter : « La course aux armements d’aujourd’hui est une bataille entre des cibles furtives et des radars de plus en plus perfectionnés. »

Aussi, la force aérienne suédoise n’a visiblement pas l’intention de participer à une telle course. Du moins, se procurer un avion de combat de 5e ou de 6e génération n’est pas dans ses plans. Et même si elle le voudrait, elle n’en aurait pas forcément les moyens au regard des coûts de développement qu’exige la mise au point de tels appareils.

Aussi, Stockholm mise avant tout sur la version E/F du JAS-39 Gripen, encore en cours de développement chez Saab. Et cela convient parfaitement au général Mats Helgesson, le chef d’état-major de la force aérienne suédoise. Il s’en est d’ailleurs récemment expliqué à l’occasion d’un entretien accordé au quotidien finlandais Iltalehti .

« Le Gripen, en particulier le modèle E, est conçu pour tuer les [avions de combat russe] Sukhoï. Nous avons une ceinture noire », a ainsi affirmé le général Helgesson en évoquant les arts martiaux.

« Nois n’avons pas plus d’avions que nos adversaires. […] Mais nous avons une meilleure tactique. Nous sommes mieux formés et connaissons très bien nos forces et celles de nos adversaires. Nous avons un avantage tactique de notre côté », a continué le chef de la force aérienne suédoise.

Les propos de ce dernier répondent à deux objectifs. Affirmer que l’on est en mesure de faire du mal à un adversaire potentiel [et la Russie est considérée comme telle à Stockholm] est une façon de le dissuader. Ensuite, il s’est agi pour le général Helgesson de faire l’article au profit du Gripen E/F, qui fera partie des successeurs potentiels des F/A-18 Hornet actuellement en service au sein de la force aérienne finlandaise. Le tout en soulignant les possibilités de mutualisation, de coopération et de partage de savoir-faire opérationnels.

Par ailleurs, le général Helgesson a estimé que le Gripen E/F pourrait rester en service jusqu’en 2060… Soit à une époque où le Système de combat aérien futur franco-allemand [SCAF] aura atteint la maturité, de même que probablement les projets d’avions de 6e génération en cours de préparation aux États-Unis, en Chine et sans doute en Russie.

Le problème de la Suède est le suivant : n’étant pas membre de l’Otan, son objectif est avant tout de disposer de moyens dissuasifs afin de faire comprendre à un éventuel envahisseur qu’il éprouvera de grandes difficultés pour arriver à ses fins.

Le couple « Gripen/Meteor [missile air-air longue portée, ndlr] pourrait être le défenseur aérien suprême, surtout si vous avez un système de défense aérienne bien intégré et des bases dispersées. En n’étant jamais loin de la frontière ou d’une base, le volume de carburant et même la charge en armes importent peu, car vous retournerez dans votre grotte et vous réarmez et faites le plein », a ainsi expliqué Jim Smith, un expert ayant pris part aux principaux programmes d’avion militaire du Royaume-Uni, au magazine spécialisé Hushkit.

Effectivement, le Gripen C/D a été conçu pour opérer depuis des tronçons de routes éloignés afin d’éviter toute dépendance à l’égard des bases aériennes, plus vulnérables. En outre, sa maintenance est des plus aisées et ne nécessite qu’une formation technique minimale [à une époque, les conscrits pouvaient s’en charger]. Ce qui fait des délais très réduits [10 à 20 mn] entre chaque sortie. En outre, ses coûts d’exploitation seraient peu élevés, ce qui est un atout pour une force armée n’ayant pas toujours eu les budgets ad hoc.

Évidemment, ces mêmes atouts ont été repris pour le Gripen E/F, que la force aérienne suédoise a commandé à 60 exemplaires au moins. Ce qui peut toutefois assez peu pour supportant un éventuel taux d’attrition élevé…

Mais cela ne suffit pas pour affirmer que le Gripen E/F sera un « tueur » de Sukhoï. Pour cela, les aviateurs suédois misent sur l’électronique embarquée à bord de cet appareil.

En effet, le Gripen E/F disposera de capteurs intégrés et sophistiqués, dont un radar AESA [à antenne active], un suite IRST [infrarouge Search & Track], une liaison de données et surtout une suite de guerre électronique décrite comme étant très performante. Qui plus est, Saab souligne qu’il bénéfiera aussi des avancées en matière d’intelligence artificielle.

Comme l’explique [.pdf] une étude du Royal United Services Institute britannique [RUSI], l’approche généralement adoptée en matière d’aviation de combat est de développer des avions ayant une Surface équivalente radar réduite tout en cherchant à maximiser la connaissance de la situation. Pour la Suède, il s’agit au contraire de disposer d’un appareil capable d’aveugler les moyens de détection adverses plutôt que de miser sur la furtivité.

Aussi, explique cette étude, le Gripen E est « conçu autour d’une suite de guerre électronique, dont les capacités, hautement classifiées, sont censées être optimisées pour contrarier les derniers radars SAM [Surface to Air Missile] russes. »

Interrogée par Business Insider, Justin Bronk, un expert du RUSI a résumé l’approche suédoise. Comme l’avion d’attaque A-10 Warthog a été conçu autour de son canon Gatling de 30 mm GAU-8/A Avenger, le Gripen est construit autour d’une suite de guerre électronique. En clair, c’est cette dernière qui fait l’avion et non l’inverse.

« Saab prévoit de mettre à jour les logiciels du Gripen E tous les deux ans, ce qui lui donnera plus de flexibilité pour faire face aux défis en constante évolution », a aussi avancé M. Bronk.

Visiblement, cette approche est payante, à en croire une anecdote racontée par l’expert britannique. « Il y a plusieurs années, les pilotes du Gripen en avait marre de se faire ridiculiser par les pilotes allemands du Typhoon. Et ils ont participé à un exercice avec leur moyens de guerre électronique de temps de guerre. Il leur ont fait passer un dur moment », a-t-il dit. Et l’un des Gripen serait « apparu sur l’aile gauche d’un Typhoon sans être détecté », a-t-il ajouté.

Cela étant, cette façon de voir peut avoir une limite. « Les suites de guerre électronique s’appuient sur des techniques de brouillage qui doivent régulièrement être mises à jour et affinées au fur et à mesure que l’ennemi modifie ses propres fréquences radar », souligne la note du RUSI.

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