Les évaluations du renseignement américain contredisent le président Trump
Le président Donald Trump, aurait dû prononcer le traditionnel discours sur « l’état de l’Union » le 29 janvier. Mais, en raison du « shutdown », qui a paralysé les administrations fédérales pendant plus d’un mois, cet exercice a été reporté au 5 février. Le chef de la Maison Blanche aura-t-il pris la mesure, d’ici-là, de l’évaluation des menaces que vient de publier le directeur national du renseignement américain, Dan Coats?
En effet, ce document [.pdf] contredit plusieurs points de la politique étrangère [et militaire] conduite par M. Trump. Ainsi en est-il de la dénucléarisation de la Corée du Nord.
Lors de sa rencontre avec le président américain à Singapour, le 12 juin 2018, le chef du régime nord-coréen, Kim Jong-un, s’était engagé à « travailler dans le sens de la dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ». Et M. Trump avait alors claironné avoir « largement résolu » le problème nord-coréen, allant jusqu’à avancer qu’il n’y avait « plus de menace nucléaire de la Corée du Nord ». Depuis, les négocations se sont enlisées et une seconde rencontre doit avoir lieu. Reste à savoir quand.
Cela étant, le renseignement américain est très sceptique à l’égard de cette « dénucléarisation » pour laquelle Kim Jong-un s’est engagé. « Nos évaluations continuent de montrer qu’il est peu probable que la Corée du Nord abandonne toutes ses armes nucléaires », ses missiles et « ses capacités de production », assure-t-il.
Et, même si Pyongyang a suspendu ses essais nucléaires et balistiques « depuis plus d’un an » et a procédé au « démantèlement réversible de certaines parties des infrastructures », il dit aussi continuer « à observer des activités non compatibles avec une dénucléarisation totale. » Cette évaluation rejoint celle du groupe d’experts des Nations unies sur la Corée du Nord, qui n’a pas dit autre chose dans un rapport remis au Conseil de sécurité en août dernier.
S’agissant de l’Iran, le renseignement américain assure que Téhéran continue de « parrainer le terrorisme en Europe et au Moyen-Orient », tout en soutenant des milices chiites, que ce soit au Yémen ou en Irak. En revanche, la divergence se situe au niveau de la décision de M. Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien [JCPOA], signé en juillet 2015 à Vienne après des mois de négociations, et d’appliquer à nouveau des sanctions contre l’économie iranienne.
« L’Iran n’entreprend pas actuellement d’activités clés que nous jugeons nécessaires pour produire une arme nucléaire », assure le document. « Cependant, des responsables iraniens ont publiquement menacé de revenir sur certains engagements du JCPOA si l’Iran n’en retirait pas les avantages tangibles attendus en matière de commerce et d’investissements », poursuit-il.
Enfin, le programme balistique iranien, qui donne à Téhéran « le plus grand inventaire de missiles balistiques de la région », continue de représenter une « menace pour les pays du Moyen-Orient », est-il affirmé dans l’évaluation du renseignement américain.
Enfin, cette dernière contredit également le président Trump au sujet de la menace jihadiste incarnée par l’État islamique [EI ou Daesh]. En décembre, le chef de la Maison Blanche avait assuré que l’organisation terroriste avait été vaincue afin de justifier le retrait des troupes américaines de Syrie. Une décision qui a provoqué des remous au sein de son administration, avec le démission de son secrétaire à la Défense, James Mattis, ainsi que des préoccupations et du désarroi parmi les alliés et les partenaires des États-Unis, dont les milices kurdes syriennes.
« L’EI dispose toujours de milliers de combattants en Irak et en Syrie et maintient huit branches, plus d’une douzaine de réseaux et des milliers de partisans dispersés à travers le monde malgré des pertes significatives en termes de dirigeants et de territoires », souligne le renseignement américain. Et d’ajouter : « Le groupe exploitera toute réduction de la pression […] pour renforcer sa présence clandestine et accélérer la reconstruction de ses capacités. Il continuera très probablement à planifier des attaques extérieures […] contre des adversaires régionaux et occidentaux, y compris les États-Unis ».
En outre, relève l’évalution, l’EI continue de « mener des attaques en Irak et en Syrie pour saper les efforts de stabilisation et exercer des représailles contre ses ennemis, exploitant ainsi les tensions sectaires [sunnites vs chiites, ndlr] dans ces deux pays ». Enfin, il y est estimé que l’organisation réalise « probablement que le contrôle d’un nouveau territoire n’est pas durable à court terme. »
Quant à al-Qaïda, et à l’heure où un accord entre les États-Unis et le mouvement taleb afghan semble se dessiner [avec, à la clé, le retrait des troupes américaines d’Afghanistan, ndlr], l’évalution indique que les « hauts responsables » de l’organisation fondée par Oussama Ben Laden, « renforcent la structure de commandement mondiale du réseau et continuent d’encourager les attaques contre l’Occident, y compris les États-Unis, bien que la plupart des attaques des affiliés d’al-Qaida à ce jour aient été de petite envergure et limitées à leurs régions. »
« Dans le même temps, les éléments d’al-Qaida en Syrie continuent de saper les efforts déployés pour résoudre ce conflit, tandis que la filiale du réseau en Asie du Sud apporte son soutien aux Taliban », souligne encore le renseignement américain, qui a également, dans un autre domaine, implicitement critiqué les sorties « anti-Otan » de M. Trump.
« Certains alliés et partenaires des États-Unis cherchent à obtenir une plus grande indépendance par rapport à Washington pour réagir à l’évolution de la politique américaine en matière de sécurité et de commerce et s’ouvrent de plus en plus à de nouveaux partenariats bilatéraux et multilatéraux », lit-on en effet dans le rapport.
Et cela, alors que « la Chine et la Russie présenteront une grande variété de défis économiques, politiques, de contre-espionnage, militaires et diplomatiques aux États-Unis et à leurs alliés ». Le renseignement américain prévoit qu’ils « collaboreront pour contrer les États-Unis, en tirant parti des doutes croissants à certains endroits sur le modèle démocratique libéral ».
Ces deux pays, déjà qualifiés de « puissances révisionnistes » dans la dernière mouture de la stratégie américaine de défense, « développent leur coopération entre eux par le biais d’instances internationales afin d’élaborer des règles et des normes mondiales à leur avantage et de faire contrepoids aux États-Unis et à d’autres pays occidentaux », conclut le rapport.