Les stocks de munitions « complexes » de la Marine nationale sont insuffisants face au durcissement des opérations navales

 

Le rapport annexé de la Loi de programmation militaire [LPM] 2019-25 est plutôt avare en détails quand il s’agit d’évoquer les munitions « complexes » destinées à la Marine nationale. Si ce n’est qu’il précise que les « programmes destinés à renouveler les capacités existantes dans le domaine des missiles de croisière et des missiles antinavires seront lancés en 2024. »

S’agissant des Missiles de croisière navals [MdCN], la Marine national devait en disposer 200 exemplaires [dont 50 pour les futurs sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Suffren]. Elle compte déjà 300 torpilles MU-90, auxquelles s’ajouteront les torpilles lourdes F-21, et elle utilise des missiles surface-air Aster 15 et Aster 30 (c’est le cas des frégates de défense aérienne « Horizon », des FREMM et du porte-avions Charles de Gaulle).

Quant aux missiles anti-navire Exocet, le député Jean-Jacques Marilossian, rapporteur pour avis sur les crédits de la Marine nationale, a indiqué que le développement des versions MM40 Block 3 et MM40 block 3c a pris du retard en raison des « arbitrages capacitaires des années passées », ce qui « laisse présager une période difficile dans la gestion des stocks vers 2022 ou 2023. »

« Des commandes d’Exocet ‘mer-mer’ sont certes prévues, mais le sous-chef d’état-major de la marine chargé des plans et des programmes juge le rythme de croissance de ces stocks ‘trop lent au regard des besoins’. En effet, compte tenu des capacités industrielles existantes, relever les stocks d’une munition complexe ‘prend trois à cinq ans pour atteindre un volume significatif’, souligne le député.

Seulement, la situation actuelle, marquée par un « durcissement » des opérations navales contraint la Marine nationale à mettre l’accent sur l’entraînement au tir de munitions complexes dans le cadre de la préparation opérationnelle de ses unités.

Tel est ainsi le cas en Méditerranée orientale, a expliqué son chef d’état-major [CEMM], l’amiral Christophe Prazuck, lors d’une audition au Sénat. La Marine nationale y maintient une présence continue afin d’y suivre la situation (« tenue à jour de la situation tactique en mer, veille radio et radar au-dessus de la terre »), ce qui contribue à « notre autonomie d’appréciation. », a-t-il dit.

Outre ce rôle de suivi, il s’agit aussi d’avoir un « pied dans la porte », en restant « intégrés aux réseaux alliés (réseaux de commandement, liaisons de données tactiques, renseignement…) pour être capables à tout moment d’y intégrer une force navale de plus grande ampleur. »

« Cette permanence nous a permis de constater, en 3 ans, le changement d’environnement tactique : d’abord, quantitatif (25 bâtiments russes en Méditerranée début septembre), ensuite, en terme de posture (avec un marquage régulier de nos unités) », a indiqué le CEMM. Et cela accroît le risque « d’erreur de calcul »…

« Je crois profondément que la conjonction de la présence de forces navales nombreuses de postures déclaratoires agressives et d’une image tactique extrêmement complexe et imbriquée rend la zone réellement dangereuse, et que le risque qu’une de nos unités soit, à l’avenir, la cible, volontaire ou non, d’un tir de missile, est bien réel », a en effet insisté l’amiral Prazuck. Cette situation n’est pas propre à la Méditerranée orientale : le détroit de Bab el Mandeb est tout aussi « dangereux ».

Aussi, a-t-il continué, « nous devons nous réapproprier la réalité de cette menace », ce qui « veut dire que que nous devons recompléter nos stocks de munitions » et « changer notre politique d’entraînement au tir. » Or, encore faut-il être en mesure de pouvoir le faire… Ce qui n’est apparemment pas tout à fait le cas.

« Pendant plusieurs années, je dirais environ deux décennies, notre investissement dans les munitions, notamment les munitions complexes comme les missiles ou les torpilles, a reflété l’environnement stratégique dans lequel nous opérions : suprématie aérienne, absence de menace sous-marine. Cet environnement a brutalement changé : menace missiles, menace sous-marine, zones contestées comme au large de la Syrie », a d’abord rappelé le CEMM.

Et cela fait que la Marine nationale se trouve désormais « démunie ». En effet, a expliqué l’amiral Prazuck, qui fait de cette question un « point de vigilance », il « va falloir des années pour remonter la pente, des années pour recompléter nos stocks, des années pour avoir en soute suffisamment de missiles pour que nos frégates puissent en tirer régulièrement, pour s’entraîner, s’aguerrir, se familiariser avec le tir ».

Visiblement, un important effort devra être fait dans ce domaine. « Pour […] donner un ordre de grandeur, aux Malouines, les frégates britanniques ont tiré en 100 jours 33 Sea Dart (l’équivalent de nos Aster 30 d’aujourd’hui) et une centaine de Sea Cat (l’équivalent de nos Aster 15) », a relevé l’amiral Prazuck.

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