La Russie déploie une importante force navale au large de la Syrie, en vue de l’offensive attendue à Idleb
Il y a comme un air de déjà-vu. En mars dernier, le chef d’état-major russe, le général Valery Gerasimov avait dit disposer « d »informations fiables » selon lesquelles « les rebelles syriens se préparaient à mettre en scène l’utilisation par les troupes gouvernementales d’armes chimiques contre la population civile. »
Et, quelques semaines plus tard, le quartier de Douma, dans la Ghouta orientale, fut effectivement la cible d’une attaque chimique, lors d’une offensive menée par les forces gouvernementales syriennes contre les derniers rebelles qui s’y étaient retranchés.
Seulement, d’après les éléments en leur possession, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni accusèrent Damas d’en avoir été à l’origine. La ligne rouge ayant été franchie par le régime de Bachar el-Assad, l’opération Hamilton fut donc lancée contre des sites soupçonnés d’abriter des éléments du programme chimique syrien.
Selon l’évaluation du renseignement français, « la stratégie politique et militaire du régime syrien consiste à alterner actions militaires offensives indiscriminées contre les populations locales, avec possible usage de chlore, et pause opérationnelle permettant des négociations. »
Par la suite, Moscou resta ferme sur ses affirmations. Et d’accuser un « État russophobe », qui était probablement le Royaume-Uni, d’avoir participé à la « mise en scène » de l’attaque chimique de Douma. Quant à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques [OIAC], chargée de faire la lumière sur cette affaire, ses enquêteurs eurent toutes les peines possibles à faire leur travail, alors qu’ils devaient arriver le plus rapidement possible sur les lieux pour mener à bien leur mission.
Toutefois, début juillet, le rapport préliminaire de l’OIAC relatif à l’attaque de Douma conclut à la présence de « produits chimiques chlorés » et de « résidus d’explosifs » sur les lieux.
Près de six mois plus tard, alors que l’attention se porte désormais sur la province d’Idleb, toujours contrôlée par des groupes armés dominés par l’organisation jihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTS, ex-Front al-Nosra, qui était lié à al-Qaïda) et l’influent Jaich al-Ahrar, Moscou a une nouvelle prévenu d’une possible « provocation grossière » des rebelles syriens, inspirée par les États-Unis
« Dans le cadre de ces provocations, des unités militaires terroristes et des organisations ‘quasi gouvernementales’ appâtées par Washington, à l’instar des Casques blancs, opèrent avec violence et sans pitié en utilisant des substances toxiques dont elles font porter le chapeau au gouvernement légitime de Damas, et à ceux qui soutiennent ce dernier dans la lutte contre le terrorisme. Nous sommes probablement à la veille d’une nouvelle répétition de ce scénario révoltant », a ainsi déclaré Sergueï Riabkov, le vice-ministre russe des Affaires étrangères, le 25 août.
Plus tard, et sans apporter la moindre preuve pour étayer son propos, le général Igor Konachenkov, le porte-parole du ministère russe de la Défense, s’est fait plus précis. Ainsi, selon lui, Hayat Tahrir al-Sham serait « en train de préparer une nouvelle provocation pour accuser le gouvernement syrien d’utiliser des armes chimiques contre la population civile de la province d’Idleb ». Et cela, avec le concours des services secrets britanniques. Et d’ajouter que le groupe aurait envoyé « huit réservoirs de chlore » à Jisr al-Shughur.
Reste que, auparavant, le conseiller à la sécurité nationale du président Trump, John Bolton, avait adressé une mise en garde contre Damas en cas d’une nouvelle attaque chimique. Et le président Macron, lors de la Conférence des ambassadeurs, le 27 août, en fit de même. « Nous continuerons à agir ainsi en cas d’utilisation avérée » d’armes chimiques auxquelles la Syrie est censée avoir renoncé, a-t-il dit, après avoir évoqué l’opération Hamilton. Cinq jours plus tôt, la France et le Royaume avaient réaffirmé cet engagement dans une déclaration conjointe.
Quoi qu’il en soit, la Russie entend, du moins a priori, éviter toute nouvelle intervention militaire conduite par la France et, surtout, les États-Unis. Soulignant la présence de destroyers américains (dont l’USS The Sullivans) en Méditerranée orientale et l’arrivée de bombardiers B-1 Lancer au Qatar, le ministère russe de la Défense a déployé les grands moyens.
En effet, le 28 août, la presse russe a rapporté que Moscou venait de déployer, au large de la Syrie, deux frégates dotés de missiles de croisière Kalibr en plus de 10 navires déjà présents dans cette zone, dont un destroyer de lutte anti-sous-marine, un croiseur lance-missiles, trois patrouilleurs et deux sous-marins de classe Kilo. Selon le journal Izvestia, il s’agirait de la plus importante présence navale russe en Méditerranée orientale depuis le début du conflit syrien.
Ces moyens importants visent effectivement à dissuader une intervention occidentale en cas d’un nouvel usage d’armes chimiques… Mais sans doute aussi à appuyer l’offensive attendue dans la province d’Idleb (les missiles Kalibr peuvent en effet atteindre des cibles terrestres et navales).
En outre, ce déploiement naval survient alors que Moscou et Ankara négocient le sort de la province d’Idleb, où sont présents des rebelles soutenus par la Turquie. Une option serait que seules les organisations jihadistes soient visées… ce qui ne remettrait pas en cause le rapprochement russo-turc.
L’affaire d’Idleb se télescope avec un autre sujet : celui des relations entre les États-Unis et la Turquie, qui se détériorent à vue d’oeil. L’offensive, susceptible de provoquer l’exode de 800.000 civils, pourrait alors être lancée « au moment les autorités turques auront le plus besoin du soutien du Kremlin », a estimé Kerim Has, un spécialiste des relations internationales basé à Moscou, cité par l’AFP.