L’idée de « privatiser » l’intervention militaire américaine en Afghanistan refait surface

 

En août 2017, le président américain, Donald Trump, annonçait une nouvelle stratégie pour l’Afghanistan, consistant à renforcer les troupes déjà déployées, à sanctionner le Pakistan, accusé de soutenir les insurgés pour assurer ses intérêts face à l’Inde, à forcer les taliban à s’asseoir à la table des négociations et à s’en prendre au mode de financement de ces derniers, en visant les laboratoires servant à produire l’opium.

Un an plus tard, les résultats de cette stratégie se font attendre… Si à l’occasion de la fin du ramadan, en juin, les taliban ont accepté un cessez-le-feu, ils ont refusé de le prolonger. Et ils se font discrets pour celui proposé par le président afghan, Ahraf Ghani, pour la fête de l’Aïd el-Kebir, qui commence le 21 août.

Au niveau diplomatique, une émissaire américaine aurait récemment rencontré, au Qatar, des représentants du mouvement taleb afghan pour évoquer la perspective d’un processus de paix…. Mais ces discussions n’ont pas été officiellement confirmées.

En revanche, la Russie, par ailleurs soupçonnée de livrer des équipements militaires aux taliban, prépare une rencontre internationale sur l’Afghanistan, qui doit avoir lieu le 4 septembre prochain. Les représentants du gouvernement afghan ainsi que du mouvement taleb, y sont conviés.

Quoi qu’il en soit, sur le terrain, la situation est difficile. La branche afghano-pakistanaise de l’État islamique [EI-K] reste active (elle vient encore de revendiquer une attaque au mortier à Kaboul) et les taliban ont multiplié les attaques, infligeant de lourdes pertes aux forces de sécurité afghanes, comme récemment à Ghazni ou à Chenaya dans la province instable de Faryab

Pour autant, alors que plusieurs capitales provinciales sont menacées par les taliban (Kunduz, Farah, Ghazni, Lashkar Gah) et qu’une bonne partie de la population rurale est sous leur influence, les responsables américains ne sont pas trop inquiets face à cette flambée de violence. « On a déjà vu ça : des insurgés qui, avant des négociations ou un cessez-le-feu, tentent de faire monter les enchères », a ainsi commenté James Mattis, le chef du Pentagone, le 16 août.

Mais une question se pose : le président Trump va-t-il se satisfaire de ce bilan, lui qui avait dit que son « instinct initial » était de « se retirer d’Afghanistan? En effet, en 2013, il avait dénoncer les milliards de dollars « gaspillés » sur le théâtre afghan. Des milliards qui auraient été, selon lui, plus utiles pour « reconstruire les USA. » Qui plus est, il avait aussi affirmé, l’an passé, que « notre engagement n’est pas illimité. […] Les Américains veulent de vraies réformes et de vrais résultats. »

Il y a un an, le chef de la Maison Blanche avait en réalité le choix entre deux options : celle proposée par le Pentagone, qu’il a donc choisie, et une autre, soumise par Erik Prince, le co-fondateur de la société militaire privée « Blackwater », devenue ensuite Xe, puis Academi.

Désormais Pdg de Frontier Group Services, M. Prince avait défendu l’idée de « privatiser » l’engagement militaire en Afghanistan en ayant recours à des sociétés militaires privées (SMP), en s’inspirant de l’exemple de la Compagnie des Indes Orientales (qui fut l’outil de l’expansion coloniale britannique en Asie) et de celui du général MacArthur au Japon, en nommant un « vice-roi » américain à Kaboul. Et ce plan prévoyait une « force aérienne privée », capable de déployer jusqu’à 90 avions.

Pour Erik Prince, cette idée aurait permis de réaliser des économies, tout en maintenant la pression sur les taliban et autres jihadistes. À l’époque, il fut rapporté qu’elle avait été défendue par Steve Bannon et Jared Kushner, respectivement proche conseiller et gendre de M. Trump. Et cela alors qu’il y avait déjà plus de 20.000 « contractors » (employés de SMP) en Afghanistan, pour des tâches liées à l’analyse du renseignement et à la sécurité…

Depuis, l’entourage du chef de la Maison Blanche a changé, avec, par exemple, la nomination de John Bolton aux fonctions de conseiller à la sécurité nationale. Le chef de la CIA, Mike Pompeo, est devenu secrétaire d’État. Seul James Mattis est resté à son poste. Cette nouvelle configuration permettra-t-elle à Erik Prince de convaincre M. Trump, dont il est un fervent soutien (sa soeur, Betsy DeVos, est d’ailleurs secrétaire à l’Éducation au sein de l’administration américaine)?

Dans un entretien donné à NBC, le 17 août, M. Prince est revenu à la charge avec son plan pour l’Afghanistan, qu’il a un peu amendé. « En ce moment, il y a 15.000 soldats américains et 30.000 contractors. Tout ce dont j’ai besoin pour mon plan, c’est 2.000 membres des forces spéciales et environ 6.000 constractors. Cela représente une réduction importante de la ‘main d’oeuvre’ et des dépenses », a-t-il fait valoir. Selui, il en coûterait en effet 3,5 milliards de dollars, contre les dizaine de milliards dépenses chaque année par les États-Unis sur le théâtre afghan.

« Quelques agents de la CIA, quelques membres des forces spéciales et un appui aérien ont décimé les taliban en quelques semaines après le 11 septembre [2001] », a souligné M. Prince. Aussi, pour lui, il faut revenir à cette approche, et abandonner la stratégie « ratée » à la soviétique.

« Si nous laissons les décisions sur la guerre uniquement au Pentagone, nous serons en guerre pour toujours », a encore asséné M. Prince, qui a précisé qu’il n’avait pas encore soumis son nouveau plan à M. Trump.

« Je sais qu’il est frustré », a dit M. Prince au sujet de ce dernier. « Il a donné au Pentagone ce qu’il voulait… et les résultats ne sont pas là », a-il accusé.

Reste à voir ce que deviendra, cette fois, le plan proposé par M. Prince, qui entend lancer une « offensive » médiatique pour en vanter les mérites. Le fait qu’il est supposé permettre des économies importantes pourrait séduire le président Trump… Mais dans ce cas, il devrait alors prendre la décision de se séparer de James Mattis…

Cela étant, Erik Prince est inquiété pour avoir rencontré, en janvier 2017, Kirill Dmitriev, un proche du président Poutine qui dirige le fonds souverain « Russian Direct Investment Fund », lequel gère des investissements publics dans des projets stratégiques. « Je me souviens lui avoir dit que si Franklin Roosevelt a pu travailler avec Joseph Staline pour battre les nazis, alors Trump pourrait certainement travailler avec Poutine pour vaincre le fascisme islamique. Il semblait d’accord », a-t-il raconté lors d’une audition au Congrès, en novembre.

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