Les délais de livraison des systèmes russes S-400 étant confirmés, la Turquie ne recevra probablement pas ses avions F-35

Le 21 août, Alexander Mikheev, le patron de Rosoboronexport, l’agence chargée des exportations russes d’équipements militaires, a confirmé que la livraison des premiers systèmes de défense aérienne S-400 Triumph à la Turquie aurait bien lieu au premier semestre 2019 et que le paiement de cette commande, dont le montant est 2,1 milliards d’euros, se fera non pas en dollars mais en « devises locales. »

Seulement, le système S-400 est incompatible avec les équipements mis en oeuvre par les pays membres de l’Otan, dont, évidemment, les avions F-35, que la Turquie a commandés à 100 exemplaires. Pour résumer, la Russie, via ce contrat, pourrait être en mesure de collecter des données sensibles relatives à l’avion de 5e génération développé par Lockheed-Martin.

« C’est une préoccupation importante, non seulement pour les États-Unis, car nous devons protéger cette technologie de pointe mais aussi pour tous nos partenaires et alliés qui ont déjà acheté le F-35 », avait ainsi expliqué Heidi Grant, sous-secrétaire adjointe de l’US Air Force pour les affaires internationales, en novembre 2017.

D’où la décision du Congrès d’inclure, dans le projet de loi de financement du Pentagone [National Defense Authorization Act – NDAA] pour le prochain exercice budgétaire, une disposition précisant que tout F-35 destiné à la Turquie ne seront pas autorisés à quitter le territoire américain tant qu’Ankara maintiendra sa volonté d’acquérir des systèmes S-400.

Et le président américain, Donald Trump, ne s’y est pas opposé : il a en effet promulgué ce NDAA le 13 août, alors que le ton entre Washington et Ankara montait à propos du sort du pasteur Andrew Brunson, emprisonné en Turquie pour ses relations présumées avec le PKK, le mouvement séparatiste kurde, et le réseau du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’être derrière le coup d’État manqué du 15 juillet 2016.

Ces tensions, accentuées par une plainte déposée par une association de juristes proches du président turc, Recep Tayyip Erdoğan, et visant à arrêter des officiers américains ayant été en poste à la base aérienne d’Incirlik, donnent lieu à une bataille économique entre les États-Unis et la Turquie, les premiers ayant augmenté les tarifs douaniers sur les importations turques d’acier. Ce qui a précipité la dégringolade de la livre turque, ce qui a, au passage, permis à Ankara de rejeter la responsabilité des mauvais résultats de sa politique économique sur Washington.

Dans ce bras de fer, la Turquie a trouvé un soutien auprès du Qatar, l’émirat ayant signé, avec son allié turc, un accord d’échange de devises pour un montant maximal de 3 milliards de dollars.

À noter également que Doha, qui a multiplié les contrats d’armements auprès des Occidentaux ces derniers mois, envisage également d’acquérir des systèmes S-400. Ce qui, comme la Turquie, pour l’exposer aux rigueurs d’une autre loi américaine, appelée CAATSA [Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act]. Ce texte prévoit des sanctions économiques contre tout pays ayant conclu des contrats avec des entreprises du secteur russe de l’armement.

Une « acquisition de S-400 aurait inévitablement des conséquences sur l’avenir de la coopération militaro-industrielle turque avec les Etats-Unis, y compris concernant les F-35 », avait d’ailleurs prévenu Wess Mitchell, chargé des relations avec l’Europe et l’Otan au département d’État américain, en juin dernier. D’ailleurs, Israël se verrait bien récupérer les activités relatives à la production de l’avion de Lockheed-Martin, jusqu’alors confiées à des entreprises turques.

La livraison de S-400 à la Turquie est une aubaine pour la Russie, au-delà de l’aspect industriel. Certes, les relations entre Washington et Ankara n’étaient déjà pas au beau fixe, en raison, notamment, du soutien américain aux milices kurdes syriennes, en première ligne face à l’État islamique [EI ou Daesh], au refus de livrer le prédicateur Gülen aux autorités turques et à l’affaire du pasteur Brunson. Mais ce contrat attise encore les tensions, ce qui permet à Moscou d’enfoncer un coin dans l’unité de l’Otan.

La Turquie « cherche de nouveaux alliés », a même lancé M. Erdoğan, le 12 août. Cela voudrait-il dire qu’Ankara songerait à quitter l’Otan? En tout cas, une telle perspective ne pourrait qu’enchanter la Russie, dont l’accès à la Méditerranée dépend des détroits turcs.

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