Général Guibert : Pour être plus efficace, la force Barkhane doit gagner en mobilité

Ce n’est un mystère pour personne (enfin presque…) que les opérations menées par la force Barkhane dans la bande sahélo-saharienne (BSS) s’inscrivent dans le long terme et non dans le temps médiatique (voire politique), lequel exige des résultats rapides. En outre, des éléments autres que militaires sont à prendre en considération. C’est par exemple le cas au Mali, où les accords de paix d’Alger tardent à s’appliquer, ce qui entretient des foyers d’insécurité et fait le jeu des groupes armés terroristes.

Cela étant, parmi les groupes terroristes actifs dans la BSS, l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS) est aux abois. Présent dans la zone dite des trois frontières, il « n’est plus capable d’effectuer des manœuvres coordonnées » et il « est obligé d’aller chercher des alliés comme Ansar Dine pour commettre des attaques », a confié le général Bruno Guibert, le chef de la force Barkhane, lors d’un entretien donné au quotidien Libération. « On a même relevé des désertions de ses combattants », a-t-il précisé.

En revanche, l’autre organisation de premier plan, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui est une alliance de groupes jihadistes proches d’al-Qaïda et dont Ansar Dine fait partie, fait preuve d’une certaine résilience. Récemment, il a revendiqué l’attaque dite « complexes » contre Barkhane et la Mission des Nations unies à Tombouctou (14 avril) ainsi que celle lancée contre le quartier général de la Force conjointe du G5 Sahel à Sévaré (29 juin). Enfin, il a aussi clamé sa responsabilité pour l’attentat commis contre une patrouille française de VBCI à Gao, le 1er juillet (4 légionnaires du 2e REI blessés et 5 civils tués).

Pour autant, pour le général Guibert, qui s’apprête à quitter la tête de Barkhane, ces attaques, « très violentes mais épisodiques », sont le « témoignage de la faiblesse » des jihadistes. « Ce n’est pas en démolissant le QG de la force conjointe du G5 Sahel qu’ils vont l’arrêter. Ce n’est pas en faisant sauter une mine sous un blindé de Barkhane qu’ils nous arrêteront. Au contraire », a-t-il dit.

Toutefois, selon le dernier rapport du secrétaire général des Nations unies sur la situation au Mali, 44 attaques ont été commises au cours du dernier trimestre. Et elles ont été principalement revendiquées par le GSIM, dont plusieurs cadres ont pourtant été éliminés par Barkhane et TF Sabre (forces spéciales françaises) au cours de ces derniers mois.

Les régions les plus touchées sont celles de Mopti (13), de Kidal (10), de Gao (7), de Tombouctou (5), de Ségou (5) et de Ménaka (4). Selon les Nations unies, ces attaques se concentrent davantage sur les forces armées maliennes (FAMa) et il a été constaté un recours accru aux engins explosifs improvisés (IED) avec 93 cas au 18 mai 2018 contre « seulement » 55 en 2017.

Selon le général Guibert, la situation exige de s’adapter en permanence car « l’ennemi a su observer nos forces et nos faiblesses. » Et d’ajouter : « L’un de nos principaux handicaps était la prévisibilité. Il ne faut jamais négliger son adversaire : dans le cas du Sahel, il nous observe en permanence, il a des sonnettes [des indicateurs] partout. » D’où le changement de mode opératoire.

« Nous devons sortir loin, longtemps, et aussi légèrement que possible. Nous privilégions désormais les opérations longues sur le terrain, en bivouac, souvent pendant un mois, voire davantage. Nous cherchons aussi à réduire notre empreinte logistique, pour se rapprocher de la vélocité de l’ennemi. Barkhane commence à se doter de pick-up, par exemple. Grâce à cette approche, nous arrivons souvent à surprendre les groupes armés terroristes (GAT) », a expliqué le général Guibert.

« La notion de ‘contrôle de zone’ ne peut pas s’appliquer face à des GAT dans un espace immense comme le Sahel. Je surnomme ces opérations ‘gros nez rouge’, car elles attirent l’attention sans être efficaces. Nos sorties sont de plus en plus dirigées par ou pour le renseignement », a-t-il continué.

Pour ces nouveaux modes opératoires, les moyens français pour frapper les groupes terroristes sont suffisants. En revanche, la force Barkhane gagnerait en efficacité avec davantage de mobilité. Ce qui passe par du « matériel adapté pour apporter la contradiction à l’ennemi ». D’où les pick-up (des Technamm Masstech, c’est dire des Toyota Land Cruiser adaptés?). Mais pas seulement.

« La biométrie pourrait nous aider », a précisé le général Guibert. « La force de l’ennemi, c’est le désilhouettage : un combattant jihadiste le matin peut être un trafiquant le soir, un berger le lendemain, et un membre de groupe armé signataire le jour suivant. Les outils d’identification biométrique nous permettraient de savoir à qui on a affaire », a-t-il souligné.

Pour rappel, la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-25 prévoit de faciliter les prélèvements biologiques sur des individus suspects lors des opérations extérieures, afin d’alimenter le fichier Biopex. Cette mesure va dans le sens de celle réclamée par l’actuel commandant de Barkhane.

Un autre domaine à ne pas négliger est celui du renseignement d’origine humaine (ROHUM). Or, c’est une capacité qui fait défaut au général Guibert. « Depuis un an, nous avons considérablement étoffé notre réseau de sources dans la population, c’est un bon signe », a-t-il cependant indiqué.

Quoi qu’il en soit, le changement de mode opératoire, une meilleure mobilité et des capacités spécifiques ne sont que des conditions nécessaires mais non suffisantes. Le succès face aux groupes jihadistes passe par la nécessite de réduire l’emprise que ces derniers peuvent avoir sur les populations. Or, pour cela, il « faudra le retour de l’État, des militaires, de la justice, de la sécurité dans les zones abandonnées », a souligné le général Guibert.

Photo : État-major des armées

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