Washington donne un gage à Pyongyang avec la suspension de l’exercice Ulchi Freedom Guardian
Le chef du régime nord-coréen, Kim Jong-un, a su habilement tirer son épingle du jeu quand il a rencontré le président américain, Donald Trump, lors d’un sommet « historique », à Singapour, le 12 juin.
« Nous nous sommes rencontrés, nous avons eu des atomes crochus. Il nous a beaucoup donné », a affirmé, à son sujet, le locataire de la Maison Blanche. Et « s’il y a une chance de faire la paix, s’il y a une chance de mettre fin à la terrible menace d’un conflit nucléaire, alors nous devons la saisir à tout prix », a ajouté M. Trump, lors d’un entretien donné à Fox News, le 15 juin. Et pour lui, le doute n’est pas de mise : « J’ai résolu ce problème, ce problème est largement résolu », a-t-il assuré.
En réalité, Kim Jong-un n’a pas donné grand chose, si ce n’est l’engagement à oeuvrer à la « dénucléarisation complète de la péninsule coréenne », sans donner de calendrier précis pour le démantèlement de l’arsenal nucléaire nord-coréen. Pas plus qu’il n’est question qu’un tel processus soit « vérifiable » et « irréversible », comme l’exigeait pourtant Washington avant le sommet de Singapour.
À noter que la « dénucléarisation » a toujours été présentée comme un des buts de la Corée du Nord. En 2013, le représentant nord-coréen auprès des Nations unies, Sin Son-ho, avait même affirmé que c’était « l’objectif final » de Pyongyang… Mais que cette dénucléarisation ne devait pas être « unilatérale » et « confinée seulement à la partie nord de la péninsule coréenne. » Cette position a-t-elle vraiment évolué?
Au plus, Kim Jong-un aurait-il consenti, selon M. Trump, à détruire un « important » site d’essai de moteurs pour missiles. Sans préciser lequel, sur les six connus, dont quatre n’ont plus été utilisés depuis quelques années. Selon le site 38th North, qui suit de près l’activité militaire nord-coréenne, seul le démantèlement des installations de Magunpo et de Tongchang-ri aurait une portée significative.
Si M. Trump parle de saisir « à tout prix » la chance de mettre un terme à la menace nuclaire [encore faudrait-il relativiser les capacités nord-coréennes qui, même si elles ont progressé rapidement, sont encore assez rudimentaires], la Corée du Nord s’en tire à très bon compte.
Ainsi, s’agissant des sanctions internationales décidées contre Pyongyang après ses essais nucléaires et ses tirs de missiles balistiques intercontinentaux, la Russie n’a pas tardé à appeler le Conseil de sécurité des Nations unies à les « lever progressivement ». La Chine, proche alliée de la Corée du Nord, a suggéré la même chose. Puis, le 18 juin, la Corée du Sud a estimé que ces sanctions pourraient être « allégées avant la dénucléarisation complète ».
« Nous avons souligné très clairement que l’allègement (des sanctions) que recevra la Corée du Nord ne pourrait intervenir qu’après sa dénucléarisation totale, sa dénucléarisation complète », a rappelé Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, lors d’un déplacement à Pékin, la semaine passée. Toutefois, a-t-il admis les résolutions [prise par l’ONU contre Pyongyang] disposent « de mécanismes d’allègement » qui pourront être « envisagés le moment venu. »
Mais, en attendant, le gain le plus significatif obtenu par Kim Jong-un est la suspension des exercices militaires défensifs menés conjointement (et régulièrement) par les forces américaines et sud-coréennes. Peu après le sommet de Singapour, M. Trump avait indiqué qu’il entendait y mettre un terme, les estimant « très provocateurs ». Et d’estimer cela permettrait en outre d’économiser « énormément d’argent ».
Sauf que, sur ce point, M. Trump n’avait pas prévenu les alliés régionaux des États-Unis… Plus tard, un responsable du Pentagone ayant requis l’anonymat, a déclaré que « les principales manœuvres allaient être suspendues indéfiniment dans la Péninsule coréenne. » Or, c’est ce qu’avait proposé la Chine, il y a un an, afin de réduire les tensions avec Pyongyang. Et ce qu’avait toujours réclamé le régime nord-coréen…
Finalement, ce ne sera pas tout à faire le cas. Du moins, pas encore. « Conformément à l’engagement du président Trump et de concert avec notre allié sud-coréen, l’armée américaine a suspendu tous les préparatifs pour les ‘jeux de guerre’ défensifs d’août prochain, Freedom Guardian », a déclaré Dana White, une porte-parole du Pentagone, dans un communiqué. « Aucune décision n’a été prise au sujet des manoeuvres suivantes », a-t-elle ajouté, avant de préciser que cette mesure n’aurait « aucun impact sur les manoeuvres militaires prévues ailleurs dans le Pacifique ».
Et Séoul a pris acte de la décision américaine. « La Corée du Sud et les Etats-Unis prévoient de poursuivre leurs discussions sur d’autres mesures », a déclaré le ministère sud-coréen de la Défense. « Aucune décision n’a été prise concernant les exercices suivants », a-t-il confirmé.
L’exercice Ulchi Freedom Guardian, organisé tous les étés depuis 1976, mobilise environ 60.000 militaires, dont 17.000 américains, comme ce fut le cas l’an passé. Il implique également d’autres pays participant au Commandement unifié des Nations Unies en République de Corée, que Pyongyang souhaite d’ailleurs voir disparaître, estimant qu’il est un « instrument militaire agressif contre la Corée du Nord ».