Face aux défis sécuritaires de la région indo-pacifique, Mme Parly défend le multilatéralisme et la coopération

Pour décrire la situation de la région indo-pacifique lors de son intervention [ndlr, prononcée en anglais, n’y avait-il pas de traducteur français/anglais?] au forum Shangri-La Dialogue, organisé chaque année à Singapour par l’International Institute for Strategic Studies [ISS], Florence Parly, la ministre des Armées, est allée trouver l’inspiration dans l’Histoire de la guerre du Péloponèse, l’ouvrage de l’historien athénien Thucydide. Plus précisément, elle a cité le concept qu’en a tiré le professeur Graham Allison.

« La question des prochaines décennies est de savoir comment la Chine et les États-Unis pourront échapper au ‘piège de Thucydide’, autrement dit au conflit résultant de la rivalité entre une puissance émergente et une puissance régnante, comme entre Athènes et Sparte au Ve siècle av. J.-C., ou entre l’Allemagne et ses voisins, à la fin du XIXe siècle », avait ainsi résumé l’historien américain lors d’un entretien donné au quotidien La Croix, en 2013. Et de préciser : « L’émergence rapide de toute nouvelle puissance perturbe le statu quo. Historiquement, dans 11 cas sur 15, depuis 1500, cela s’est terminé par une guerre. »

Mais Mme Parly ne fait pas sien ce concept. Toutefois, selon elle, « quand l’équilibre de la puissance change, ce n’est pas la puissance que l’on perd mais l’équilibre ». Et « les risques sont trop importants pour les accepter passivement ».

Or, la ministre française a déploré que les dynamiques observées dans la région indo-pacifique étaient davantage marquées par la compétition entre pays que par la coopération régionale, notamment sur au moins trois défis qui concernent directement cette partie du globe.

S’agissant de la prolifération nucléaire, et en particulier de la Corée du Nord, Mme Parly a déploré que les sanctions décidée par le Conseil de sécurité des Nations unies ne soient pas strictement appliquées.

« Il semble que des tankers nord-coréens aient régulièrement des rendez-vous avec d’autres tankers d’origine inconnue, puis reviennent en Corée du Nord après avoir été chargés », a relevé la ministre des Armées. Ce qui est un pierre envoyée dans le jardin de la Chine, qu’elle n’a nommée a aucun moment lors de son allocution.

Toujours au sujet du dossier nord-coréen, Mme Parly se veut prudente. « Nous devons nous assurer de la robustesse de la mise en oeuvre des sanctions jusqu’au démantèlement complet, vérifiable, irréversible » du programme nucléaire de la Corée du Nord », a-t-elle dit, avant de mettre en garde contre le risque de « douche froide » dans cette affaire. « Il semble qu’une armée de distingués plombiers soit à l’oeuvre sur les deux rives du Pacifique pour remettre en marche le chauffe-eau, et peut-être que le chaud reviendra. C’est ce que nous espérons », a-t-elle dit.

Un autre enjeu cité par Mme Parly est le respect des lois maritimes internationales. La ministre des armées a évoqué la situation en mer de Chine méridionale, région revendiquée dans sa quasi-totalité par Pékin alors que d’autres pays riverains y ont des prétentions. Sur ce point, elle a fait valoir que « le fait accompli n’est pas un fait accepté ». Sur ce point, elle a plaidé pour que ces différends territoriaux soient réglés par la négociation, dans le respect du droit international. Et, évidemment, rien ne doit remettre en cause la liberté de navigation.

Le terrorisme est le troisième enjeu cité par Mme Parly. Mais là encore, elle a déploré le manque de coopération régionale.

« Personne n’avait vraiment anticipé l’incroyable prise d’assaut de Marawi [par l’EI, au Philippines, en mai 2017 ndlr]. Lorsque nous nous attaquons à ce phénomène, nous devons également prendre en considération différentes perspectives dans la région. Bien sûr, tout le monde a ses terroristes, mais ils ne sont pas toujours les mêmes. C’est une limite sérieuse à la coopération. Qu’est-ce qu’un Taliban? Si vous me le demandez, dans la plupart des cas, c’est un terroriste. Demandez à quelqu’un d’autre, ce pourrait être une sorte de combattant de la liberté ou peut-être même un proxy. Où est donc l’espace de coopération? », a déploré Mme Parly, qui, sans le dire explicitement, vise le Pakistan (qui a une relation très ambigue avec le mouvement taleb afghan) et, par extension, la Chine, qui son partenaire le plus proche.

Après avoir rappelé les coopérations que la France s’attache à conduire dans la région indo-pacifique, que ce soit avec l’Australie, l’Inde, le Japon, le Vietnam et Singapour, Mme Parly a cité une phrase que le président Reagan mettait en exergue.

« Il n’y a pas de limite à ce qu’un homme peut accomplir s’il ne se soucie pas de qui obtient le crédit », a-t-elle en effet dit. « C’est, en un sens, la façon dont nous voyons les défis dans la région » car « face à tant de nuages, seul un effort patient, collectif et désintéressé peut freiner les passions, prouver que Thucydide a tort, défendre les règles […] et montrer que nous pouvons relever la barre [de la coopération] plutôt que le drapeau », a-t-elle conclu.

Lire : Destined for War: Can America and China Escape Thucydides’s Trap? – Graham Allison

Illustration : Cartographie issue de La France et la sécurité en Indo-Pacifique, DGRIS, Ministère des Armées, Conception Graphique : Lucie Lelyon, juin 2018

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