Le capitaine de corvette Jacquelin de La Porte des Vaux, le corsaire de la France Libre

À bien des égards, le commandant des Marines Gregory « Pappy » Boyington et le capitaine de corvette Jacquelin de la Porte des Vaux se ressemblent. Meneurs d’hommes nés, ces deux officiers étaient connus pour leurs facéties, leur interprétation très personnelle des ràglements, leurs rapports tendus avec leur hiérarchie, leurs frasques, leur courage, leur droiture et aussi leurs difficultés à vivre selon les conventions d’une société ayant retrouvé la paix. Mais la comparaison s’arrête là. Le premier, titulaire des plus hautes distinctions militaires de son pays a été le héros d’une série télévisée mondialement connue (« Les têtes brûlées »), inspirée de ses mémoires. Le second, qui n’aura pas été fait Compagnon de la Libération alors qu’il fut l’un des premiers à ralier la France Libre, est pratiquement tombé dans l’oubli…

Issu d’une vieille famille aristocratique aux origines périgourdines, Jacquelin de la Porte des Vaux voit le jour le 6 janvier 1910. Son père, André, exerce la profession de banquier quand il est rappelé au 226e Régiment d’Infanterie en août 1914. Sérieusement blessé lors d’une patrouille de reconnaissance, ce dernier revient chez les siens avec les galons de lieutenant, la Légion d’Honneur, la Médaille militaire et la Croix de Guerre.

Voulant changer de vie et aussi pour des raisons de santé, André de la Porte de Vaux décide de s’installer en Tunisie pour s’y reconvertir dans le journalisme. Le jeune Jacquelin vit son premier coup dur, avec la disparition de sa petite soeur qu’il adorait à cause de la tuberculose. Sa mère ayant alors décidé de rentrer à Paris, le jeune garçon est à nouveau séparé de son père.

Malgré des conditions matérielles difficiles, Jacquelin, qui se décrira plus tard comme ayant été un « enfant assez excité, un peu original et légèrement enclin à l’excentricité », fait ses études au collège Franklin, tenu par les frères jésuites. Baccaulauréat de sciences en poche, il prépare le coucours d’entrée de l’École polytechnique. Finalement, il sera reçu à celui de l’École navale. À l’issue de sa scolarité, il est affecté à 1ere flottille de torpilleurs de Méditerranée, ce qui lui permettra de se rendre en Tunisie, où il retrouve son père et rencontre Maud Waddington, dont la famille est apparentée à celle de Winston Churchill. Il l’épousera le 23 décembre 1933, en la cathédrale de Tunis.

Ce « très bon officier adorant son métier et ayant de très grandes qualités que sa jeunesse et son exubérance font paraître parfois de prime abord comme des défauts » enchaîne les affectations à bord de différents navires basés à Toulon, où il se lie d’amitié avec l’écrivain catholique Georges Bernanos, qui voit en lui une « tête brûlée », un « aventurier des mers » avec une « âme pure et généreuse dotée de cet esprit d’enfance propre aux, saints, aux héros et aux martyrs. »

Et pour Jacquelin de la Porte des Vaux, l’amitié n’est pas un vain mot. En 1936, l’auteur du « Journal d’un curé de campagne » est installé à Palma. D’abord favorable au soulèvement franquiste, l’écrivain finit par prendre ses distances avec ce dernier car ne pouvant plus cautionner plus longtemps ses excès.

Le 26 décembre, devant tenir une réunion publique de contestation, l’écrivain se voit interdire par les autorités locales de s’exprimer. Sauf que, ce jour-là, le Torpilleur « Le Mars » fait escale à Palma et que l’enseigne de vaisseau de la Porte des Vaux est son officier de manoeuvre. Finalement, il pourra s’exprimer sans être inquiété. Et pour cause : son ami avait prévenu ses homologues espagnols qu’il ouvrirait le feu, avec les canons de son navire, sur les bâtiments officiels si jamais il arrivait quelque chose à Bernanos. Cela lui vaudra 60 jours d’arrêt de rigueur à la forteresse maritime dès son retour à Toulon. « J’avais bien besoin d’un peu de repos », dira-t-il.

Par la suite, devenu père de trois enfants, de la Porte des Vaux suit les cours de l’École des officiers canonniers puis sert à bord de plusieurs navires différents en tant qu’officier d’artillerie. Mais c’est en qualité d’officier des transmissions sur le contre-torpilleur Jaguar qu’il prendra part à la « drôle de guerre » et à la campagne de France de mai-juin 1940.

Le 23 mai, le Jaguar est attaqué par un bombardier allemand Ju-88, puis torpillé par deux vedettes rapides de la Kriegsmarine. Le navire s’échoue à Malo-les-Bains et l’on compte 13 tués et 23 blessés parmi l’équipage. Les rescapés, dont Jacquelin de la Porte de Vaux (par ailleurs vêtu d’un uniforme peu conventionnel, nécessité faisant loi), participent alors à la défense de Dunkerque. Puis ils sont évacués à bord du navire « L’Émile-Deschamps », à destination de l’Angleterre.

Malheureusement, ce dernier est victime d’une mine magnétique qui lui sera fatale. Pour la seconde fois en deux semaines, les marins du Jaguar font naufrage. Le lieutenant de vaisseau de la Porte de Vaux fait partie, encore une fois, des rescapés. Seulement, il est gravement blessé. C’est sur son lit d’hôpital qu’il apprend l’appel à la résistance du général de Gaulle. Son adhésion à la France libre est immédiate alors que, porté disparu, il venait d’être fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume par un décret ministériel signé le 5 juin.

Bien qu’encore diminué par ses blessures, l’officier veut reprendre le combat. Et vite. D’abord affecté à bord du Courbet en tant que responsable des transmissions, il ne tarde pas à prendre le commandement de l’aviso Commandant Dominé, « réfugié » à Falmouth à l’annonce de l’armistice faite par le maréchal Pétain.

Son premier ordre du jour (daté du 1er août 1940), résume parfaitement son état d’esprit : « Équipage du Dominé, demain, ne vous conduirai à la bataille! Le but de ce combat est de montrer au monde que la France, en tenant parole de continuer la lutte, a toujours un honneur, toujours un pavillon. Nous ne servons ni des noms, ni des partis politiques. Nous payons simplement à notre patrie, en lui sacrifiant s’il le faut jusqu’à nos familles, les mille ans de bien-être et de protection que cette Patrie a justement donnés aux familles de nos pères. Cette dette d’honneur envers la France, cette dette d’honneur envers le monde, nous est dictée par notre coeur. »

Plus que son commandant, Jacquelin de la Porte des Vaux sera l’âme du « Commandant Dominé ». Son style y sera pour beaucoup. « Sachez distinguer entre service et rigolade et faites en riant les choses sérieuses, soyez sérieux dans vos bêtises. Alors on les aura! », lancera-t-il à son équipage. Il faut dire aussi que ses frasques ont nourri sa légende, comme celle consistant à avaler un poisson rouge dès qu’il en voyait dans un bocal.

C’est ainsi que l’officier va nouer une relation solide avec ses marins, avec lesquels il sera très exigeants quand il s’agira d’aller au combat et auxquels il demandera d’oublier ses quatre ficelles de capitaine de corvette (à titre provisoire) le reste du temps.

À bord du « Commandant Dominé », Jacquelin de la Porte des Vaux prend une part active à l’expédition de Dakar (où l’aviso essuiera une salve de « semonce » du cuirassé Richelieu, alors vichyste) puis à la campagne du Gabon. C’était « un officier des plus originaux qui s’était trompé d’époque. Il aurait très bien figuré parmi les corsaires », dira de lui le capitaine Tutenges, alors chef d’état-major du futur général Leclerc. À Douala, il fait imprimer des cartes de visite avec cette mention : « capitaine de corvette à titre temporaire, lieutenant de vaisseau à titre définitif, chevalier de la Légion d’Honneur à titre posthume ».

Plus tard, l’aviso reçoit la mission – difficile et dangereuse – d’escorter les convois dans l’Atlantique. Dans le même temps, et entre deux déploiements, de La Porte des Vaux assoit sa légende lors des nuits londoniennes. Comme ce 14-Juillet où, ayant parié qu’il ferait mettre au garde-à-vous un général anglais, il fit jouer la Marseillaise pour raffler la mise.

Seulement, ces facéties finissent par le rattraper. D’autant que, dans toute organisation humaine, certains mettent toujours la forme avant le fond. Ayant des relations compliquées avec l’amiral Muselier, alors chef des Forces navales françaises libres (« Le capitaine de corvette obéit à l’amiral mais de La Porte des Vaux dit merde à Muselier » lui aurait-il écrit pour une histoire de barbe), le pacha du « Commandant Dominé » est relévé de ses fonctions pour une histoire de rapports d’opérations écrits sans respecter le « règlement ».

En février 1942, de La Porte des Vaux prend le commandement d’une flottille de vedettes rapides chargés de patrouiller en Manche. Il installe sa marque à bord de la ML246 Saint-Yves. Mais encore une fois, sa « phobie administrative » lui coûte cher : il est relevé de ses fonctions pour « négligence » dans la tenue de la comptabilité de son unité. Il fait alors l’objet d’une « mutation disciplinaire » et se trouve affecté à bord du contre-torpilleur Triomphant, basé dans le Pacifique. Seulement, ses facéties (et sa popularité au sein de l’équipage?) déplaisent à son commandant, qui obtient son renvoi.

De mars à mai 1943, le capitaine de corvette de La Porte des Vaux est affecté à l’état-major des FNFL. À Londres, il se lie d’amitié avec Joseph Kessel, son neveu Maurice Druon, Romain Gary et Raymond Aron. Puis, mis à la disposition de l’état-major personnel du général de Gaulle, il est autorisé à suivre un stage pour devenir parachutiste, malgré un avis défavorable du corps médical. Passé temporairement chez les aviateurs, il prend le commandement d’un commando d’une vingtaine d’hommes destiné à mettre en place les lieux de « plageage » pour les opérations amphibies. Mais ce projet tournera court.

C’est alors que, affecté à Alger, ‘il est désigné pour mettre sur pied un « commando aéronaval » destiné à intégrer les Forces expéditionnaires d’Extrême-Orient. Mais là encore, ses frasques et ses excentricités vont le desservir, dans le mesure où son recrutement de volontaire en-dehors des voies officielles lui valent d’avoir la sécurité militaire sur le dos. En outre, s’étant fait voler sa Jeep, il n’hésite pas « emprunter » des véhicules. Sans autorisation, bien entendu.

Quoi qu’il en soit, l’idée d’un commando aéronaval pour les FEEO sera abandonnée. Dans quelles mesures les difficultés matérielles auront pesé dans cette décision? Mystère… Reste que, en 1944, de La Porte des Vaux n’a pas l’intention de jeter l’éponge. Envoyé en France, le 1er septembre, il forme le « Naval commando d’Aunis », qui doit participer à la libération des dernières poches tenues par l’armée allemande à La Rochelle. Encore une fois, l’anticonformisme de cette unité précipiteront sa dissolution, en février 1945.

Le capitaine de corvette de La Porte des Vaux est alors affecté au bureau militaire d’information de Paris, où il restera jusqu’en janvier 1946, année où il prend un nouveau commandement à la mer, à bord du bâtiment océanographique « Président Tissier ». Hélas pas pour longtemps : ses méthodes de gestion peu orthodoxes ayant encore déplu… Aussi quitte-t-il, à sa demande, la Marine. en octobre.

Séparé de sa femme, l’ex-officier tente de renouer avec une vie d’aventure, sans y parvenir vraiment. Épuisé après des années de guerre, il meurt le 30 juin 1949, à l’âge de 39 ans.

« Jacquelin de la Porte des Vaux me plaît, parce qu’il ne ressemble à personne, parce qu’il est suranné et en avance sur le temps présent. Parce qu’il pousse le courage, le goût du panache, et l’amour jusqu’à l’extravagance. Parce qu’il mange tout vif les poissons rouges chez les douairières. Parce qu’il s’est battu comme : marin, gaulliste, parachutiste et commando. Parce qu’il vole un Jeep chaque fois qu’on vole la sienne. Parce qu’il joue au pirate comme un enfant et paye le prix du jeu comme un homme. Aussi, j’aime le mélange décousu, absurde et vivant d’ordres du jour, de vers et de proses, qui témoigne de son aventure, de sa foi et de sa poésie », écrira Joseph Kessel à son sujet.

Lire : Un chevalier de la France libre: Jacquelin de la Porte des Vaux, par Eric Brothé

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