Sahel : Pour le chef de la force Barkhane, les jihadistes sont « aux abois »

Le 14 avril, à Tombouctou, les jihadistes ont lancé une attaque d’une ampleur jusqu’alors inédite contre la force Barkhane et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali [MINUSMA]. Et tout porte à croire qu’elle avait été préparée depuis longtemps. Mais l’on notera qu’elle a eu lieu exactement deux mois après une opération française menée le 14 février entre Boughessa et Tin-Zaouatène, contre le groupe Ansar Dine, qui fait partie de la coalition « Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn » (ou Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, GSIM).

Or, ce raid de la force Barkhane a porté un coup important à Ansar Dine, dans la mesure où il a permis d’éliminer des cadres de premier plan, dont le lieutenant d’Ilyad ag Ghali, le chef de cette organisation jihadiste et du GSIM.

« À mon sens, le GSIM ayant achevé sa phase de restructuration et de régénération après nos frappes de la mi-février, il cherchait un événement fondateur du renouveau de sa capacité opérationnelle et tenait à faire la démonstration, qu’il espérait éclatante, de son potentiel militaire et de son aptitude à frapper les forces internationales », a ainsi expliqué le général Bruno Guibert, le commandant de la force Barkane, dans un entretien accordé à l’Express.

S’agissant de l’attaque en elle-même, le général Guibert a souligné qu’elle a été menée avec « des moyens que l’on voit rarement au Mali. » Pour rappel, trois véhicules suicides, aborant les couleurs des Nations unies et des Forces armées maliennes [FAMa] et dont un était conduit par une femme, ont tenté d’ouvrir une brèche dans l’enceinte du camp où sont basés les soldats français et les Casques bleus, à Tombouctou. Ce dernier a subi des tirs de mortiers et de RPG tandis que ds assaillants, dont certains portaient des gilets explosifs ou des casques bleus, ont fait le coup de feu.

Finalement, même si un Casque bleu burkinabè y a laissé la vie et que 7 militaires français ont été blessés, cet assaut, qui a contraint un groupe commando de Barkhane ainsi que 2 patrouilles de Mirage 2000 à intervenir, a été un échec pour les jihadistes, qui ont perdu au moins 15 des leurs face à un détachement de légionnaires français « remarquablement commandé », ayant « réagi avec beaucoup de sang-froid face à une attaque dure et bien conçue, difficile à repousser. »

Pour le général Guibert, cette attaque n’est pas le signe d’une « sophistication exponentielle » des modes opératoires terroristes, ni d’une « arrivée brutale de nouvelles armes. » En revanche, a-t-il admis, il y a une « amélioration technique et tactique, probablement due aux porosités entre les différents groupes terroristes, lesquels se « prêtent » des experts dans les domaines de la pose des IED ou des tirs de mortiers. »

Reste que pour le chef de Barkhane, « nous faisons face à un ennemi aux abois, frappé durement ces derniers mois, qui a compris qu’on irait le traquer jusque dans ses sanctuaires. » Et d’ajouter : « Plus d’une centaine de terroristes ont été récemment neutralisés ou remis aux autorités légales du pays. » L’État islamique dans le grand Sahara (EIGS), dont la coopération avec le GSIM est à relativiser, a particulièrement été visé au cours de ces dernières semaines.

Pour le moment, le général Guibert n’a pas la preuve « formelle » que des jihadistes venus de Syrie ou d’Irak ont rejoint le Sahel. En revanche, les groupes armés terroristes (GAT) locaux n’ont pas de peine à recruter. Les « combattants de base » sont « souvent des pauvres types, sans espoir, à qui ont promet un avenir meilleur dès lors qu’ils rejoignent le groupe kalachnikov à la main; ils le font d’ailleurs moins par adhésion idéologique que par opportunisme. D’où un renouvellement continu », a-t-il expliqué.

Lors d’une audition récente à l’Assemblée nationale, le Directeur du renseignement militaire (DRM), le général Jean-Pierre Ferlet, avait évalué le noyau dur des jihadistes à 450/500 combattants, auxquels il fallait ajouter des « intermittents » qui « peuvent poser une mine contre un billet. »

À ces « intermittents » ou à « ces pauvres types », il faut aussi compter les combattants de certains groupes signataires de l’accord de paix d’Alger. Le général Guibert parle en effet de « collusion » de ces derniers avec les GAT. « Dans les convois que nous interceptons, y compris après des actions de combat, nous trouvons à l’intérieur de véhicules des groupes partenaires de l’accord des drapeaux et des ordres de mission signés », a-t-il relevé.

Quant au chef d’Ansar Dine et du GSIM, le général Guibert estime qu’il « n’a pas pu quitter le territoire malien » après le raid du 14 février. « On sait très bien qu’ag Ghali et ses lieutenants avaient la capacité de franchir la frontière pour se mettre hors d’atteinte. Peut-être cette situation est-elle en train d’évoluer. A ce jour, je ne peux affirmer que le refuge accordé par l’Algérie est toujours d’actualité et l’on n’est plus si certain d’une duplicité hier patente », a-t-il expliqué.

Enfin, et comme l’a déjà dit le général François Lecointre, le chef d’état-major des armées, le désengagement des forces françaises au Sahel n’est pas pour demain. D’une part parce que la Force conjointe du G5 Sahel n’aurait toujours pas vu la couleur des 400 millions d’euros promis par la communauté internationale. Et d’autre part parce que les conditions sont loin d’être réunies. « Si Barkhane quittait le Mali aujourd’hui, son départ ne ferait qu’aggraver les tensions, notamment intercommunautaires, et amplifier l’activité des mouvements terroristes vers le Sud », a expliqué le général Guibert, avant de déplorer le manque « d’exploitation politique » des acquis sur le terrain.

Photo : EMA

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