Attaque chimique : La France publie un « faisceau de preuves » mettant en cause la responsabilité de Damas

Quelques heures après les frappes contre le programme syrien d’armes chimiques, le ministère des Armées a publié une « évaluation nationale » [.pdf] concernant les faits ayant eu lieu à Douma [Ghouta orientale], le 7 avril dernier.

Ce document, qui compile des « analyses techniques d’informations de source ouverte et de renseignements déclassifiés obtenus par les services français », réunit donc des élements qui constituent un « faisceau de preuves suffisant pour mettre en cause la responsabilité » de Damas dans les attaques chimiques ayant visé cette localité, alors sous contrôle du groupe rebelle Jaych al-Islam.

Dans un premier temps, cette évaluation nationale établit la chronologie des faits. « Dans le contexte d’une reprise de l’offensive militaire du régime syrien et d’une forte activité aérienne dans la ville de Douma, dans la Ghouta orientale, deux nouveaux cas de recours à
des substances toxiques ont fait l’objet d’une communication spontanée de la société civile et des médias locaux et internationaux à partir du 7 avril en fin d’après-midi », y lit-on.

« Un afflux massif (au minimum une centaine de personnes) de patients présentant des symptômes d’exposition à un agent chimique dans les centres de soin de la Ghouta orientale a été constaté et documenté en début de soirée. Au total, plusieurs dizaines de personnes, au moins quarante selon plusieurs sources, seraient mortes d’une exposition à une substance chimique », poursuit le document.

À partir de ce moment, les services français ont analysé les témoignages, les photographies et les vidéos diffusés « spontanément » sur les sites spécialisés, la presse et les réseaux sociaux.

Le texte mentionne également de « témoignages obtenus par les services ».

Ainsi, l’analyse des vidéos et des images en question a « permis de conclure avec un haut degré de confiance que la grande majorité est de facture récente et ne relève pas d’une fabrication. » En outre, la « nature spontanée de la mise en circulation des images sur l’ensemble des réseaux sociaux confirme qu’il ne s’agit pas d’un montage vidéo ou d’images recyclées. » Enfin, poursuit le document, « une partie des entités ayant publié ces informations est reconnue comme habituellement fiable. »

Qui plus est, estiment les analystes, « une manipulation des images diffusées massivement à partir du samedi 7 avril n’est pas crédible, dans la mesure notamment où les groupes présents dans la Ghouta n’ont pas les moyens de mener une manœuvre de communication d’une telle ampleur. »

Toujours au sujet des images, l’évaluation nationale affirme qu' »aucune mort par effet mécanique n’est visible » et que l’ensemble des symptômes constatés est « caractéristique d’une attaque par armes chimiques, notamment par des agents suffocants et par des agents organophosphorés ou de l’acide cyanhydrique. »

Reste à savoir pourquoi le régime syrien a lancé une telle attaque chimique. Pour y répondre, le document rappelle que le tactique des forces syriennes consiste à séparer les différents groupes rebelles alors présents dans la Ghouta orientale afin de « concentrer l’effort et d’obtenir des accords de reddition négociés ».

Cette tactique a ainsi fonctionné avec Ahrar al-Cham et Faïlaq al-Rahmane puisque ces deux groupes ont conlu des accords ayant abouti à leur évacuation. « Dans cette première phase, la stratégie politique et militaire du régime syrien a consisté à alterner actions militaires offensives indiscriminées contre les populations locales, avec possible usage de chlore, et pause opérationnelle permettant des négociations », rappelle l’évaluation nationale française.

Seulement, les discussions avec Jaysh al-Islam n’ont pas été concluantes, 4.500 à 5.000 de ses combattants, localisés essentiellement à Douma, ayant refusé tout accord. « Dès lors, à compter du 6 avril, le régime syrien, appuyé par les forces russes, a repris ses bombardements intensifs sur la localité, mettant fin à une pause opérationnelle, tant terrestre qu’aérienne, constatée depuis le lancement des négociations mi-mars. C’est dans ce contexte que sont intervenues les frappes chimiques analysées ici », explique le document.

Pour ce dernier, l’usage d’armes chimiques par les forces syriennes fait « sens », tant au nivau tactique que stratégique.

Tactiquement, cela permet de déloger les rebelles « abrités dans des habitations afin d’engager le combat urbain dans les conditions les plus avantageuses pour le régime. Et à ce titre, il constitue un « accélérateur de conquête et un démultiplicateur d’effet visant à faire tomber au plus vite le dernier bastion des groupes armés. »

Stratégiquement, le recours à des armes chimiques, « notamment au chlore, documentée depuis le début 2018 dans la Ghouta orientale », rappelle l’évaluation nationale, vise à « punir les populations civiles présentes dans les zones tenues par des combattants opposés au régime » et à « provoquer sur elles un effet de terreur et de panique incitant à la reddition. » Et le document d’ajouter : « Alors que la guerre n’est pas terminée pour le régime, il s’agit, par des frappes indiscriminées, de démontrer que toute résistance est inutile et de préparer la réduction des dernières poches. »

Par ailleurs, les services français estiment que la Syrie n’a pas déclaré l’intégralité de son arsenal chimique et de ses capacités en la matière, contrairement à l’engagement qu’elle avait pris au moment de son adhésion à la Convention internationale d’interdiction des armes chimiques.

« La Syrie a ainsi omis de déclarer un grand nombre d’activités du Centre syrien d’études et de recherches scientifiques (CERS). Elle n’a accepté que récemment la déclaration de certaines activités du CERS au titre de la Convention, sans pour autant déclarer l’intégralité de ce centre. Elle a également initialement omis de déclarer les sites de Barzeh et Jemrayah qui ne l’ont finalement été qu’en 2018 », précise le document.

Enfin, cette évalution nationale, qui revient sur l’attaque de Khan Cheikhoun (4 avril 2017), affirme que les services français soupçonne l’usage, par le régime syrien, de gaz toxiques dans au moins 11 autres cas depuis un an. « On notera dans ce contexte une recrudescence notable des cas d’emploi après le non renouvellement du mandat du mécanisme d’enquête conjoint OIAC-ONU (JIM) en novembre 2017, en raison du véto de la Russie au CSNU », y est-il souligné.

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