Londres demande des explications à Moscou après l’empoisonnement d’un agent russe du MI-6

Le 4 mars, trois personnes ont été gravement empoisonnées par une substance chimique à Salisbury [sud de l’Angleterre], dont le colonel Sergueï Skripal, un ancien officier du renseignement militaire russe ayant été débauché par les Britanniques, sa fille Youlia et un policier venu à leur secours.

Lors de l’enquête, confiée à Scotland Yard, il a été établi par centre de recherche de Porton Down, un laboratoire du ministère britannique de la Défense (MoD) spécialisé dans les armes chimiques, que la susbstance utilisée était un gaz innervant de « qualité militaire », du groupe des agents « Novichok » mis au point par l’Union soviétique dans les années 1970/1980.

Cette affaire n’est pas sans rappeler celle de l’ex-agent russe Alexandre Litvinenko, empoisonné par du Polonium 210 en 2006 alors qu’il résidait à Londres. Le colonel Skripal avait été recruté à peu avant par le Secret Intelligence Service (ou MI-6), le renseignement britannique lui ayant donné 100.000 dollars en échange des noms des agents russes en activité au Royaume-Uni et en Europe.

Démasqué, l’officier fut condamné pour « espionnage au profit d’une puissance étrangère » à 13 ans de prison. Finalement, en 2010, il fit partie d’un « échange » contre des espions russes découverts aux États-Unis.

Une semaine après l’empoisonnement du colonel Skrival et de sa fille, encore hospitalisés dans un état « critique mais stable », Theresa May, Mme le Premier ministre britannique, a ainsi demandé des comptes à Moscou. Ainsi, elle a donné jusqu’au 13 mars au soir aux autorités russes pour livrer des explications sur l’origine de la substance utilisée à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).

La Russie a soit mené « une attaque directe dans notre pays”, soit « perdu le contrôle d’un agent chimique aux effets potentiellement catastrophiques », a relevé Mme May. « En l’absence de réponse crédible, nous en conclurons que cette action constitue un usage illégal de la force par l’Etat russe contre le Royaume-Uni. Et je reviendrai alors devant la chambre (des Communes) et présenterai l’éventail des mesures que nous prendrons en représailles », a-t-elle prévenu.

En réponse, Moscou a qualifié de « provocation » le discours de Mme May. « C’est un numéro de cirque à destination du parlement britannique », a réagi Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangère. De son côté, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a affirmé que les « accusations » de Londre ne visaient qu’à « discréditer la Russie » à l’approche de l’organisation de la prochaine coupe du monde de football, remportée aux dépens du Royaume-Uni.

Les agents neurotoxiques « Novichok » ont été mis au point dans le cadre du programme soviétique « Foliant ». Le plus connu est le Novichok A-230, lequel serait jusqu’à 8 fois plus toxique que le gaz VX.

Les agents « Novichok » peuvent être liquides ou solides (sous la forme d’une fine poudre blanche). Le fait qu’ils soient binaires (c’est à dire qu’ils deviennent nocifs après avoir mélangé deux substances chimiques moins nocives) les rend plus faciles à transporter.

« L’une des principales raisons pour lesquelles ces agents ont été développés est que leurs composants ne figurent pas sur la liste des produits interdits », a expliqué, à la BBC, le professeur Gary Stephens, expert en pharmacologie à l’Université de Reading. En outre, ils sont beaucoup plus difficiles à identifier.

Quoi qu’il en soit, les États-Unis ont appporté leur soutien au Royaume-Uni en affirmant faire « toute confiance à l’enquête britannique selon laquelle la Russie est probablement responsable de l’attaque. »

« Nous sommes d’accord sur le fait que les responsables – à la fois ceux qui ont commis le crime et ceux qui l’ont ordonné – doivent en subir les sérieuses conséquences appropriées », a réagi Rex Tillerson, le chef de la diplomatie américaine, après un entretien téléphonique avec Boris Johnson, son homologue britannique.

Le gouvernement britannique a par ailleurs tenu informé son allié français de cette affaire. Ainsi, Londres et Paris ont convenu de « se coordonner étroitement » à mesure des progrès de l’enquête. En outre, a assuré 10 Dowing Street, Mme May et le président Macron ont « discuté du comportement agressif de la Russie » et se sont accordés sur le fait qu’il « serait important de continuer à agir de concert avec les alliés pour y remédier. »

Cette affaire est en outre « très préoccupante pour l’Otan », a par ailleurs estimé Jens Stoltenberg, son secrétaire général. « Cela va à coup sûr entraîner une réaction », a par ailleurs affirmé M. Tillerson.

« Même si c’est douloureux, l’Occident endormi doit se réveiller face à la vraie menace posée par Poutine », a résumé le conservateur William Hague, chef du Foreign Office entre 2010 et 2014, dans les colonnes du Daily Telegraph. Selon lui, l’affaire Skripal « contient tous les éléments du régime Poutine – vengeance, déni, inventivité et capacité de discerner des faiblesses des sociétés ouvertes et libres. »

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