La hausse des effectifs prévue par la prochaine LPM est insuffisante pour les associations professionnelles de militaires

La révision à la hausse du format de la Force opérationnelle terrestre (FOT) décidée en 2015 (+11.000 soldats) ne s’est pas traduite par une augmentation homothétique des effectifs globaux du ministère des Armées. En 2016, ce dernier comptait 205.121 militaires, contre 202.964 un an plus tôt (soit +2.157). Dans le même temps, des recrutements supplémentaires ont été réalisés pour renforcer la fonctions « renseignement », dans le cadre des mesures d’urgences concernant la lutte contre le terrorisme. Et le tout dans un contexte marqué par une intense activité opérationnelle.

En clair, l’augmentation des effectifs de la FOT a été faite en grande partie par des transferts de poste (c’est ce qui a été appelé la « manoeuvre RH », qui, plus prosaïquement, a consisté à déshabiller Paul pour habiller Jacques).

Évidemment, les directions et services qui soutiennent l’activité des unités opérationnelles doivent faire face à un surcroît de travail, à moyens constants. Et l’armée de l’Air, comme la Marine nationale, n’ont pas bénéficié de davantage d’effectifs pour compenser en partie les déflations qu’elles ont subies au cours de ces dix dernières années, alors que leurs contrats opérationnels sont dépassés.

Le projet de Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, qui est « borné » par la Loi de programmation des finances publiques adoptée récemment, prévoit la création de 6.000 postes, dont 3.000 pour la période 2019-2022. Encore une fois, les fonctions renseignement et cyber devraient être bien servies… Ce qui fait que cette hausse annoncée des effectifs est insuffisante pour les associations professionnelles nationales de militaires, dont seulement trois officiellement reconnues par le ministère des Armées.

L’APNAIR est l’une d’entre-elles. Son président, le capitaine Lionel Hillaireau, est monté au créneau lors d’une audition devant les députés de la commission de la défense nationale, le 27 février. Après avoir vivement et fermement déploré, avec des mots forts, le report, en « catimini », de l’application du protocole relatif aux parcours professionnels, carrières et rémunérations et à l’avenir de la fonction publique (PPCR) aux militaires, l’officier a abordé la question des effetifs de l’armée de l’Air.

« S’il est heureux, enfin, de ne plus assister à des déflations, nous attirons l’attention sur la répartition à venir [des effectifs] et la nécessité de prendre en compe l’existant. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que l’armée de l’Air a supporté depuis 2008 une déflation excessive et incomparable avec les autres armées. […] Dans un contexte de profonde réforme dont on connaît aujourd’hui le bilan mitigé et alors que l’engagement opérationnel des aviateurs […] est au-delà du maximum et s’inscrit dans la durée, ces déflations ont entraîné une usure importante des personnels, mettant à mal l’attractivité et la fidélisation indispensable dans des métiers techniques du périmètre aéronautique. Il sera important et juste que l’augmentation annoncée nous profite enfin, » a plaidé le capitaine Hillaireau.

Comme l’a expliqué le vice-président de l’APNAIR, le major Philippe Glimois, avec la recherche constante d’efficience, « on envoie le strict nécessaire pour l’entretien » des avions en opération. Aussi, ce sont les spécialistes les plus qualifiés qui sont sollicités, voire sur-sollicités. « Avec les opérations qui sont de plus en plus nombreuses, sur les dix dernières années, on retombe presque toujours sur les mêmes », a-t-il dit, avant de souligner que c’est parmi les spécialités qui « tournent énormément » que l’on constate le « taux de divorce le plus conséquent. »

Depuis 2008, l’armée de l’Air a fermé 17 bases aériennes et perdu 18.000 postes. Et au cours de la dernière LPM, elle a supporté 50% des suppresions de postes. En juin dernier, le général Olivier Taprest avait estimé qu’il lui manquait « plusieurs milliers d’effectifs pour fonctionner correctement. » Et face à ces problèmes de ressources humaines, son chef d’état-major, le général André Lanata, n’exclut pas de mener de nouvelles restructurations en dernier recours.

Comme l’APNAIR, France Armement, qui concerne les personnels de la Direction générale de l’armement (DGA), a également évoqué l’insuffisance de l’augmentation des effectifs. Pour son représentant, l’ingénieur en chef de l’armement (ICA) Olivier Robert, le projet de LPM 2019-2025 est à la fois « enthousiasmant » et « consternant ».

Enthousiasmant parce que ce texte prévoit d’accélérer de grands programmes d’armement (Scorpion par exemple) et de lancer (ou d’étudier) de nouveaux. Seulement, il est « consternant » dans la mesure où selon France Armement, il ne donne pas les moyens nécessaires à la DGA pour assumer cette charge de travail qui sera donc mécaniquement plus importante.

« En 2018, selon la loi de finance, le niveau de paiement sera de l’ordre de 10,3 milliards d’euros pour le programme 146 [Équipement des forces, ndlr] et de 720 millions pour le programme 144 [Environnement et prospective de la politique de défense, ndlr] sur la partie DGA. […] Le tout avec environ 9.700 ETP [Équivalent temps plein, ndlr]. En fin de LPM 2019-2025, les crédits de paiement seront plutôt de 20 milliards. La LPM ne précise pas complétement la destination des augmentations d’effectifs. C’est d’ailleurs un problème de notre point de vue », a affirmé l’ICA Robert.

« Dans tous les cas, a-t-il continué, l’ambition affichée par la LPM va se traduire par des négociations, des renégociations de contrats, des essais d’équipements, des études à organiser, à piloter et à analyser. »

Pour rappel, il est prévu de renouveler les deux composantes de la dissuasion nucléaire et de lancer les études pour le successeur du porte-avions Charles de Gaulle, le système aérien de combat futur et le prochain char lourd de combat. À cela, il faut ajouter les 13 nouveaux programmes qui seront lancés et les 30 qui devront être accélérés et/ou amplifiés ainsi que le soutien aux exportations (sur ce point, la LPM accorde 400 postes de plus, sur les 600 qu’il faudrait, comme l’avait indiqué, en 2016, Laurent Collet-Billon, l’ancien Délégué général pour l’armement).

Selon l’ICA Robert, les personnels de la DGA craignent donc de « devoir faire face à une charge de travail qui s’accroît considérablement alors que nous avons constaté des cas de plus en plus nombreux de surcharge et de ‘burn out' ». Cette situation concerne aussi, a-t-il dit, les gendarmes de l’armement, dont les effectifs, « à l’heure actuelle », sont « tout juste suffisants pour assurer la protection des sites, très nettement insuffisants pour prendre en charge l’augmentation des activité d’essais et la réactivation de certains sites pour les programmes prévus par la LPM. »

Enfin, l’APNM Commissariat (qui, par ailleurs, a déploré les effets du « dépyramidage » du ministère des Armées décidé en 2013), a aussi souligné le manque d’effectifs dans la fonction « Soutien ». Lors de son audition par les députés, le secrétaire général pour l’administration, Jean-Paul Bodin, a noté que le projet de LPM prévoit d’augmenter de seulement 50 personnels les effectifs des services de soutien. Cela « nous pousse à nous interroger sur nos modes de fonctionnement et sur d’éventuelles externalisations d’activités », a-t-il dit.

C’est ainsi que la fonction « alimentation » pourrait être externalisée complétement.

« Dans le cadre de nos réflexions sur l’évolution des soutiens et du SCA, nous nous interrogeons sur l’externalisation de la fonction ‘alimentation’. Le comité Action publique 2022 a, quant à lui, ouvert le dossier de l’externalisation de l’habillement, cette externalisation étant effective dans la police et la gendarmerie. Nous ne pourrons pas externaliser toute l’activité d’alimentation, car nous devrons conserver du personnel militaire pour remplir cette mission sur des théâtres d’opérations. Pour le reste, nous tendons vers une externalisation de cette activité, plutôt que vers son maintien en régie. Il faut garder à l’esprit que 80 % des personnels militaires sont des contractuels », a expliqué M. Bodin.

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