Rafale : Dassault Aviation abat ses cartes en Belgique

Ce 14 février, l’appel d’offres « ACCap » (Air Combat Capability Program), qui vise à acquérir 34 nouveaux avions de combat pour remplacer les F-16 de la force aérienne belge, va entrer dans la dernière ligne droite, avec la remise des dernières et (meilleures) propositions finales des deux derniers concurrents en lice, à savoir Lockheed-Martin (F-35A, représenté par le F-35 Joint Program Office du Pentagone) et le consortium Eurofighter (Typhoon, représenté par le ministère britannique de la Défense).

Ces dernière semaines, les deux candidats ont enchaîné les opérations de communications et de lobbying afin de vanter leurs appareils. Ainsi, la partie britannique a promis 19,3 milliards d’euros de retombées économiques ainsi que 6.785 emplois d’ici 2043 si la Belgique se décide en faveur de l’Eurofighter.

Côté américain, l’on se fait plus discret sur les compensations industrielles et économiques, si ce n’est que Lockheed-Martin a indiqué avoir signé des accords préliminaires avec ASCO industries tandis que Pratt & Whitney devait en faire de même avec Belgian Engine Center (BEC).

Cependant, le chef du Pentagone, James Mattis, a « mouillé » sa chemise pour faire l’article auprès de son homologue belge, Steven Vandeput, en faisant valoir que le choix du F-35 aiderait la Belgique a atteindre l’objectif des 2% du PIB de dépenses militaires fixé par l’Otan. Il est vrai que, selon la Defense Security Cooperation Agency américaine, le choix de l’avion de Lockheed-Martin coûterait à Bruxelles 6,53 milliards de dollars (soit 5,342 milliards d’euros). Une somme largement supérieure aux 3,412 milliards d’euros prévues pour le remplacement des F-16…

Qui plus est, le chef d’état-major de la force aérienne néerlandaise, le général Dennis Luyt, a mis son grain de sel alors qu’il était invité par l’ambassade des États-Unis à Bruxelles. « C’est incroyable tout ce que cet avion peut apporter au combat et sur le terrain », a-t-il dit, en parlant du F-35, dont son pays a commandé 37 exemplaires.

Cela étant, l’Eurofighter Typhoon et le F-35A pourraient bien être coiffés sur le poteau par le Rafale de Dassault Aviation, la France ayant décidé de se retirer de l’appel d’offres ACCap afin de proposer une coopération « approfondie » à la Belgique dans le domaine de l’aviation militaire.

Depuis décembre, il est dit que, en cas d’un choix en faveur du Rafale, Dassault Aviation aurait promis 20 milliards d’euros de retombées économiques sur 20 ans à la Belgique. Ce qu’a mis en doute M. Vandeput, pour qui ce « serait trop beau pour être vrai ». Mais l’on sait que le ministre belge n’a pas apprécié le roque de Paris sur ce dossier, contrairement, du moins a priori, à ses collègues du gouvernement.

« On ne demande pas de nous croire les yeux fermés. On apportera les garanties de ce que nous affirmons aujourd’hui », a lancé Éric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation, lors d’un déplacement en Belgique, le 13 février.

À cette occasion, et dans le cadre de la proposition de partenariat faite par la France, M. Trappier a signé 13 accords de coopération avec des industriels belges, dont Sabca, Safran Aero Booster, Thales Belgium, Asco, Esterline, Flying Group, DronePort, ie-net, JDC Innovation, AKKA Belgium, Amia Systems, Ilias et Alt-F1.

« Ces accords, qui s’ajoutent à ceux déjà signés précédemment, portent à plus d’une trentaine le nombre de documents contractuels passés avec l’industrie belge et couvrent des domaines très variés qui vont de la maintenance de l’avion de combat Rafale, à la formation des ingénieurs en aéronautique, en passant par la participation à des projets de Drone, l’automatisation des lignes de production, l’additive manufacturing, la maintenance prédictive, la simulation, la recherche dans les matériaux avancés et les projets de Smart City », a détaillé Dassault Aviation, via un communiqué.

D’autres accords similaires – plusieurs dizaines – devraient suivre afin « d’atteindre les objectifs que les industriels de l’aéronautique français se sont fixés pour les retours industriels et sociétaux de l’offre faite à la Belgique », a indiqué M. Trappier.

« Ces engagements ont vocation à se consolider et à se formaliser en cohérence des discussions inter-gouvernementales sur la construction d’un partenariat stratégique franco-belge relatif à l’aviation de combat […] Cette démarche s’inscrit sans ambiguïté dans le cadre de la construction d’une Europe de la Défense et de son autonomie stratégique. Notre détermination à remplir nos objectifs en matière de partenariats économiques et sociétaux dans des domaines de hautes technologies vise à proposer une solution pérenne à la Belgique », a fait valoir le Pdg de Dassault Aviation.

Problèmes juridiques?

Seulement, l’initiative française, qui a donc consisté à court-circuiter l’appel d’offres ACCap, suscite des objections juridiques. Du moins est-ce l’avis de M. Vandeput.

« C’est délicat. Les Français ont décidé de ne pas remettre d’offre. La Défense a demandé une étude et la balance indique plutôt que les Français se sont mis hors jeu. Mais eux nous adressent des notes juridiques disant l’inverse. Sachant que si on accepte l’offre française, il y a un risque majeur de recours des deux autres candidats, qui pourrait coûter cher », a plaidé une « source gouvernemantale » belge auprès du quotidien Le Soir.

Sauf que, pour son appel d’offres, Bruxelles a sollicité des agences gouvernementales et non les industriels susceptibles d’y répondre. Ce que la partie française ne manque pas de souligner.

« Ce n’est pas un appel d’offres destiné aux entreprises dans une logique d’égal accès à la commande publique, mais il offre des lignes directrices aux gouvernements pour élaborer des propositions à la Belgique, pour organiser le dialogue avec ces derniers et pour permettre à la Belgique d’effectuer son choix souverain entre différentes propositions », plaide une note juridique française, évoqué par le journal belge l’Echo.

En outre, et comme la Belgique a fait le choix d’un accord de gouvernement à gouvernement pour acquérir ses futurs avions de combat et qu’elle est souveraine en matière de défense, rien ne lui interdit d’abandonner cet appel d’offres en le déclarant sans suite.

Enfin, insiste cette note juridique, « Le lancement de la RfGP [appel d’offres, ndlr] ne constitue en aucun cas un engagement à conclure un accord » et les « organismes ayant répondu ne pourront pas demander de remboursement des dépenses réalisées pour la préparation de leur réponse au RfGP. Aucune responsabilité juridique ne sera encourue par le gouvernement belge en conséquence des activités conduites dans le cadre de la réponse au RfGP. »

Cette position est partagée par le député belge Richard Miller, dont le parti (Mouvement réformateur, centre-droit) appartient à la coalition gouvernementale. « Si aucun [des deux concurrents de l’appel d’offres] ne rencontre le meilleur rapport qualité-prix, on pourrait examiner d’autres offres comme le Rafale (de l’avionneur français Dassault), ou d’autres avionneurs comme le Gripen suédois », a-t-il affirmé sur les ondes de Bel RTL, ce 14 février. « On n’est pas obligé de choisir un des deux », a-t-il insisté.

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