Le Pentagone souhaite se doter d’armes nucléaires de faible puissance pour répondre à la doctrine russe

En novembre 2015, la chaîne de télévision NTV diffusa un reportage sur une réunion du président Poutine avec des généraux, à Sotchi. Erreur ou acte délibéré, un document montré à cette occasion allait donner lieu à maints commentaires. En effet, l’on pouvait voir sur ce dernier le plan d’une nouvelle arme qui, appelée « Status-6 Oceanic Multipurpose System », serait un drone sous-marin imposant en forme de torpille, propulsé par un réacteur nucléaire et capable d’emporter une ogive nucléaire de 100 mégatonnes.

Pouvant atteindre une cible à 10.000 km de son point de lancement, ce « Status-6 Oceanic Multipurpose System », appelé depuis Kanyon par la CIA, présenterait l’avantage de se passer de missiles balistiques et de croisière lancés depuis un sous-marin ou un bombardier, et donc de s’affranchir des défenses anti-missiles mises en place par les États-Unis et l’Otan. Naviguant à une profondeur de 1.000 mètres, il serait en outre indétectable. Et cela pendant des mois, voire des années, grâce à son réacteur nucléaire.

Depuis, les analystes s’interrogent. Cette arme est-elle vraiment en cours de développement ou bien la Russie a-t-elle voulu faire passer un message indiquant que si les État-Unis continuent de développer des systèmes antimissiles, elle trouvera un autre moyen de frappe? Quoi qu’il en soit, au Pentagone, ce « Status-6 Oceanic Multipurpose System » est pris au sérieux puisqu’il figure dans le document détaillant la « Posture nucléaire » (NPR) des États-Unis, publié le 2 février 2018 [.pdf].

Ce dernier souligne que, lors de ces dernières années, la Chine et la Russie ont modernisé leurs arsenaux nucléaires, avec la mise en service de nouveaux missiles et porteurs, alors que rien de semblable n’a été fait aux États-Unis, où la modernisation des trois composantes de la dissuasion nucléaire devrait coûter 1,2 billions de dollars jusqu’en 2040.

« La Russie considère les États-Unis et l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan) comme les principales menaces à ses ambitions géopolitiques contemporaines. La stratégie et la doctrine russes mettent l’accent sur les utilisations coercitives et militaires potentielles des armes nucléaires. Elle évalue à tort que la menace d’une escalade nucléaire ou d’un premier usage effectif des armes nucléaires servirait à ‘désamorcer’ un conflit à des conditions qui seraient favorables. Ces perceptions erronées augmentent les risques d’erreur de calcul et d’escalade », explique la NPR.

La modernisation complète de son arsenal permettra ainsi à la Russie « d’accroître rapidement ses effectifs militaires déployés », ajoute le document. Et elle va se poursuivre, avec la mise au point d’au moins « deux nouveaux systèmes de portée intercontinentale », dont un véhicule hypersonique et une nouvelle torpille sous-marine autonome à capacité nucléaire (le fameux « Status-6 Oceanic Multipurpose System »). Et la NPR de relever que Moscou développe des « un ensemble important, varié et moderne de systèmes non stratégiques » qui, pouvant être dotés de charges nucléaires ou conventionnelles, n’entrent pas dans le cadre du traité de désarmement New START qui ne prend en compte que les armes stratégiques.

L’investissement massif de la Russie en faveur de ces armes dites « tactiques » s’explique par sa doctrine « escalade-désescalade » qui consisterait à faire usage en premier d’une arme nucléaire tactique dans le cas d’un conflit avec l’Otan. Le pari est que les États-Unis, uniquement dotés d’armes stratégiques, ne seraient pas en mesure de riposter de manière appropriée.

Il y a désormais une « disparité » entre les capacités russes et celles des États-Unis et de l’Otan, a résumé Greg Weaver, le responsable des capacités stratégiques au Pentagone. « Nous avons conclu que notre stratégie et nos capacités actuelles étaient clairement perçues par les Russes comme potentiellement insuffisantes pour les dissuader », a-t-il expliqué.

« Nous voulons nous assurer que la Russie ne fait pas d’erreur de calculs », a indiqué Robert Soofer, le secrétaire adjoint à la Défense chargé de la politique nucléaire. Elle « doit comprendre que lancer une attaque nucléaire, même limitée, ne lui permettra pas d’atteindre son objectif, modifiera fondamentalement la nature du conflit et aura un coût incalculable et intolérable pour Moscou. »

D’où l’objectif affiché par la NPR de doter les forces américaines d’armes nucléaires de faible puissance qui, embarquées à bord de sous-marins, remplaceront les missiles stratégiques afin de rester « dans les clous » des engagements internationaux pris par Washington, à commencer par les traités de non-prolifération.

En outre, il est également proposé de développer un nouveau type de missile nucléaire de croisière mer-sol, afin de remplacer les BGM-109A Tomahawk Land Attack Missile – Nuclear (TLAM-N), retirés du service entre 2010 et 2013. Toutefois, ce projet pourrait être abandonné si « la Russie acceptait de revenir à des mesures vérifiables de contrôle des armes nucléaires », a souligné M. Weaver.

« L’objectif de ces capacités est de rendre une réponse américaine à un usage de l’arme nucléaire plus plausible, pas de rendre une attaque initiale des États-Unis plus probable », a encore fait valoir M. Weaver, alors que certains s’inquiètent de voir le risque d’un conflit nucléaire augmenter avec cette nouvelle orientation de la posture américaine. « Les États-Unis ne veulent pas utiliser d’armes nucléaires, mais nous voulons maintenir un moyen de dissuasion efficace pour garder les Américains, nos alliés et nos partenaires en sécurité », a insisté Patrick Shanahan, le secrétaire adjoint à la Défense.

Au total, le Pentagone envisagerait de se doter d’une trentaine d’armes nucléaires de faible puissance, pour un coût évalué à 50 millions de dollars sur 5 ans. L’idée serait de modifier des têtes de missiles balistiques lancées par sous-marins. « Ce n’est pas une capacité majeure de combat. Si nous parlons de tirer des dizaines de ces missiles, alors on entre ans un domaine différent. L’idée est d’en avoir un ou deux voire seulement quelques-uns pour répondre à la menace potentielle de la Russie », a détaillé M. Soofer.

Cela étant, ce n’est pas la première fois qu’un tel projet est mis sur la table. En avril 2005, Donald Rumsfeld, alors chef du Pentagone, avait plaidé pour le développement de « petites armes nucléaires » afin d’être en mesure de détruire des bunkers profondément enterrés. « La seule chose que nous ayons, ce sont de grosses armes nucléaires. Entre ne rien avoir et disposer de grosses armes nucléaires, ne devrions-nous pas avoir l’intermédiaire? », avait-il plaidé. Mais le Congrès ne l’avait pas suivi.

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