Avion de combat franco-allemand : Le chef d’état-major des armées évoque une coopération « déséquilibrée »
Depuis que le ministère allemand de la Défense a demandé des informations à Boeing et à Lockheed-Martin au sujet des avions F-15, F/A-18 Super Hornet et F-35A en vue de remplacer les Panavia Tornado de la Luftwaffe, le directeur d’Airbus Defense & Space, Dirk Hoke, ne compte pas ses efforts pour plaider la cause de son groupe, sous couvert de défendre l’industrie aéronautique militaire européenne.
Ainsi, selon ce responsable d’Airbus, l’achat, par l’Allemagne, d’avions de combat auprès des États-Unis serait de nature à « affaiblir l’industrie européenne de la défense et la rendre de plus en plus tributaire de la technologie américaine. » Et donc de compromettre le développement d’un appareil européen de 6e génération, lequel pourrait l’objet d’une coopération franco-allemande, comme l’ont annoncé, en juillet, le président Emmanuel Macron et la chancelière Angela Merkel.
Sur ce point, Dirk Hoke a été clair. « Dans l’hypothèse où la volonté politique nécessaire est là, Airbus propose de conduite la coopération avec ses partenaires européens et de façonner ainsi cet aspect de notre futur européen commun », a-t-il écrit dans une tribune publiée par la lettre spécialisée Griephan Briefe, au sujet de cet éventuel programme franco-allemand d’avion de combat.
Plus tard, dans un entretien donné au quotidien Les Echos, M. Hoke a souhaité une « collaboration intense et forte entre Airbus et Dassault. » Et d’ajouter : « Il nous faut trouver une solution gagnant-gagnant pour créer ensemble l’avion de la sixième génération qui permettra à toute l’industrie aéronautique européenne de maintenir ses compétences dans la défense. Sinon, elle serait amenée à disparaître. »
Récemment, dans une réponse faite à un parlementaire qui s’interrogeait sur un possible choix du F-35 pour remplacer les Panavia Tornado de la Luftwaffe, un responsable du ministère allemand de la Défense, Ralf Brauksiepe, a confirmé l’intention de Berlin de mettre un avion de combat conjointement avec la France. « Ce projet est une étape importante dans la continuité de la coopération étroite et avant-gardiste entre ces deux nations pour l’Europe », a-t-il fait valoir.
Mais cette coopération franco-allemand suscite des interrogations en France, qui a su garder les compétences nécessaires pour développer et assembler des avions de combat avec le Rafale, via Dassault Aviation.
Lors de son audition par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées [le compte-rendu vient d’être mis en ligne, ndlr], le chef d’état-major des armées (CEMA), le général François Lecointre a été sollicité par un sénateur pour donner son avis sur cette question.
« S’agissant de la coopération européenne et de l’avion de combat européen, il est manifeste que l’Allemagne souhaite combler son retard dans un certain nombre de secteurs technologiques et industriels, dont elle est notamment absente depuis plusieurs années. S’associer à la France pour créer un futur avion de combat vise à récupérer une compétence qui a été, jusqu’à présent, perdue », a commencé par rappeler le général Lecointre.
À la question de savoir quels seraient les avantages que la France pourrait tirer en partageant cette compétence avec l’Allemagne, le CEMA a botté en touche. « Cette affaire concerne, par définition, davantage les industriels, le Directeur général de l’armement et les politiques, que le chef militaire que je suis! », a-t-il répondu.
Toutefois, a-t-il ajouté, « sous l’angle industriel, cette coopération est déséquilibrée, en raison des moyens colossaux que ce partenaire [l’Allemagne] engage pour assurer la remontée en puissance de sa base industrielle et technologique de défense. »
Le cas du drone MALE RPAS (ou Eurodrone) est éloquent. La direction de ce programme a été laissée à l’Allemagne… qui n’hésite pas imposer ses vues, comme une double motorisation comme l’exigerait le Parlement allemand, selon les explications données par Dirk Hoke (alors que le Heron TP israélien que veut louer Berlin n’a qu’un seul moteur…). D’où des difficultés à s’entendre avec Dassault Aviation…
Par ailleurs, le général Lecointre voit dans le Fonds européen de défense, qui va se mettre en place, une « belle opportunité de faire payer une partie des systèmes d’armes par l’Union européenne. »
« Si vous pouviez encourager nos industriels à jouer le jeu, cela m’arrangerait! », a lancé le CEMA à l’adresse de sénateurs. « Une meilleure interopérabilité pourrait en résulter, mais j’ai du mal à discerner les alliances industrielles qu’il va falloir bâtir pour y parvenir », a-t-il toutefois admis. D’autant plus que, a-t-il continué, « le sujet de l’Allemagne et du système de combat aérien du futur, la situation d’Airbus par rapport à Dassault, la recomposition du secteur industriel de défense terrestre représentent autant de sujets compliqués. »
Mais globlement, pour le général Lecointre, ce fonds européen de défense « permettra aussi de consacrer plus de ressources du programme 146 [équipement des forces, ndlr] à la production de capacités dont nos armées ont urgemment besoin. »
« En effet, […] afin de préserver un modèle d’armée complet incluant notamment la base industrielle et technologique de défense, nous avons beaucoup investi en études-amonts et assez peu en production. Or, aujourd’hui, le besoin des armées est d’obtenir des capacités en nombre suffisant. Si L’Europe peut prendre à sa charge une partie du développement, cette démarche me satisfait pleinement! », a expliqué le CEMA.