M. Macron critiqué par des responsables irakiens pour avoir évoqué le démantèlement des unités paramilitaires
Maintenant que l’État islamique (EI ou Daesh) a perdu l’essentiel des territoires qu’il contrôlait depuis 2014, il importe désormais de « gagner la paix », en empêchant que les causes ayant favorisé l’expansion de l’organisation jihadiste puissent se reproduire. Et l’opposition entre sunnites et chiites est l’une d’elles. Faute de quoi, l’Irak, en particulier (mais cela vaut aussi pour la Syrie), s’exposerait à une instabilité endémique, avec tout ce que cela suppose en matière de sécurité.
Pour combattre l’EI, des milices principalement chiites, regroupées au sein des « Unités paramilitaires de mobilisation populaire » (Hachd al-Chaabi), ont été sollicitées par les forces de sécurité irakienne.
Seulement, plusieurs d’entre-elles ont été accusées d’avoir commis des crimes des guerres dans les régions libérées de l’emprise jihadiste et peuplée majoritairement de sunnites. « Depuis juin 2014, les milices des Unités de mobilisation populaire ont exécuté de manière extrajudiciaire ou tué illégalement, torturé et enlevé des milliers d’hommes et d’adolescents », affirmait ainsi Amnesty International dans un rapport publié en janvier dernier.
Le 2 décembre, après s’être entretenu avec Nechervan Barzani, Premier ministre de la région autonome du Kurdistan irakien, le président Emmanuel Macron a déclaré qu' »avoir un Irak fort, réconcilié, pluraliste et qui reconnait chacune de ses composantes est une condition de la stabilité immédiate et de moyen terme » du Moyen-Orient. »
Pour cela, a continué le président français, le dialogue doit « se construire » sur « plusieurs éléments » en « plein respect de la constitution de 2005 ». Et d’en appeler à une « démilitarisation progressive, en particulier de la ‘mobilisation populaire’ qui s’est constituée ces dernières années, et que toutes les milices soient progressivement démantelées. »
Or, pour plusieurs personnalités irakiennes, cette dernière phrase est de trop. Premier ministre lors de l’expansion de l’EI en Irak, le chiite Nouri al-Maliki, dont la politique a contribué à accentuer les tensions communautaires, a vivement réagi aux propos du président français.
« Emmanuel Macron s’est mêlé de manière inattendue dans les affaires intérieures irakiennes en appelant au démantèlement d’une institution légale, le Hachd al-Chaabi », a affirmé M. Maliki, actuellement vice-président de la République et chef du plus important groupe chiite au Parlement. « Nous voulons qu’aucun pays n’impose sa volonté au gouvernement irakien et à la brave nation irakienne », a-t-il ajouté.
Vice-président du Parlement irakien, Houman Hamoudi a également critiqué M. Macron. « Les Irakiens attendaient de la communauté internationale, et notamment de la France, qu’elle félicite les combattants qui ont donné leur vie pour leur pays et pour le monde », a-t-il dit. « Sans le Hachd, Daesh serait arrivé au cœur de Paris », a-t-il ajouté, oubliant les attentats de novembre 2015… (et l’action de la coalition internationale, à laquelle la France participe).
Du côté de ces unités paramilitaires, le ton est évidemment le même. « Toute discussion [sur le sujet] est rejetée et nous n’acceptons pas d’ingérence dans les affaires irakiennes », a lancé Ahmad al-Assadi, l’un de leurs chefs. « Demander la dissolution de Hachd, c’est comme demander la dissolution de l’armée irakienne car le Hachd est un élément clé de la sécurité irakienne », a-t-il ajouté.
Pour le moment, le Premier ministre irakien en exercice, Haider al-Abadi, n’a pas réagi à l’appel du président Macron. Cela étant, en octobre, il avait vigoureusement défendu le Hachd al-Chaabi alors que le chef de la diplomatie américaine, Rex Tillerson, venait d’appeler les milices iraniennes présentes en Irak à « rentrer chez elles. »
« Les combattants du Hachd al-Chaabi sont des Irakiens qui ont combattu le terrorisme, ont défendu leur pays et se sont sacrifiés pour vaincre l’État islamique », avait fait valoir M. Abadi. Et de rappeler que « le Hachd est une institution dépendant de l’État irakien et la Constitution n’autorise pas la présence de groupes armés hors du cadre de la loi. »
Par ailleurs, lors, d’un forum consacré aux questions de défense à la Fondation présidentielle Ronald Reagan et à l’Institut de Simi Valley, en Californie, le directeur de la CIA, Mike Pompeo, est revenu à la charge au sujet de ces milices chiites en indiquant avoir envoyé un courier au général Qassem Soleimani, le commandant de l’unité al-Qods des Gardiens de la révolution iranien.
« J’ai envoyé une note. Je l’ai envoyé parce qu’il avait indiqué que les forces sous son contrôle pourraient menacer les intérêts américains en Irak », a raconté le patron de la CIA. « Ce que nous lui avons communiqué dans cette lettre est que nous tiendrons l’Iran et lui-même responsable… et nous voulions nous assurer que lui et les dirigeants de l’Iran comprennent cela d’une manière parfaitement claire », a-t-il expliqué.
Photo : Ahmad Shamloo Fard via Wikipedia