Revue stratégique : La Marine nationale n’aura pas de second porte-avions

Un peu plus de trois mois après avoir été commandée par le président Macron à un comité de 16 personnalités présidé par le député européen (LR) Arnaud Danjean, la Revue stratégique qui servira de ligne directrice lors de l’élaboration de la prochaine Loi de programmation militaire (LPM) vient d’être rendue publique, ce 13 octobre [.pdf].

Ceux qui s’attendaient à y trouver des objectifs chiffrés en matière capacitaire ou à des annonces « fracassantes » en seront pour leur frais. Ce document ne fait qu’énoncer des ambitions « générales » en termes de capacités militaires, lesquelles peuvent se résumer en une seule : conforter l’autonomie stratégique de la France sur la base d’un « modèle d’armée complet et équilibré », tout en cherchant un renforcement de la défense européenne « autour d’intérêts de sécurité partagés. »

« Seul pays européen (après le Brexit) membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et puissance nucléaire, membre fondateur de l’Union européenne et de l’Otan, dotée d’un modèle d’armée complet et d’emploi, la France doit maintenir une double ambition : préserver son autonomie stratégique et construire une Europe plus robuste, pour faire face à la multiplication des défis communs », est-il affirmé dans cette revue stratégique.

Dans sa première partie, cette dernière énumère les raisons qui motivent la nécessité de conserver un modèle d’armée complet, dont la remise en cause de l’ordre multilatéral, la déconstruction de l’architecture de sécurité en Europe, les dissensions au sein de l’Union européenne, la vulnérabilité de la bande sahélo-saharienne, perméable à l’idéologie jihadiste, la déstabilisation (durable) du Moyen-Orient ou encore les tensions en Europe de l’Est et du Nord, sur fond « d’activisme » russe.

À cela, il faut ajouter les zones « porteuses de risques » pouvant affecter (ou concerner) la France, comme notamment l’Asie ainsi que des « fragilités multiples » telles que les pressions migratoires, les dérèglements climatiques, les menaces sanitaires, les rivalités énergétiques, les vulnérabilités cybernétiques et la criminalité organisée.

Enfin, il y est aussi question des menaces « traditionnelles », comme la prolifération des missiles ainsi que des armes nucléaires, chimiques et biologiques. Et le tout marqué par un « retour de la compétition militaire » (mais avait-elle vraiment disparu?) incarné par la Russie et la Chine.

Qui plus est, la revue stratégique met en avant un « durcissement de l’environnement opérationnel » dans tous les domaines (terrestre, naval, aérien, cyber) avec une supériorité technologique des forces armées occidentales de plus en plus contestée, voire même dépassée dans certains cas.

Le document fixe cinq fonctions stratégiques : la dissuasion, dont les deux composantes seront renouvelées, la protection, la connaissance et l’anticipation, l’intervention et la prévention, cette dernière étant visiblement appelée à prendre plus de poids. Pour cela, il faut un « modèle d’armée complet et équilibré » est donc « indispensable ».

Ce modèle devra « disposer de l’ensemble des aptitudes et capacités, y compris les plus critiques et les plus rares, pour atteindre les effets militaires recherchés ». Toutefois, est-il dit dans cette revue stratégique, « il ne s’agit pas d’être capable d’agir en autonomie dans tous les contextes ni de détenir toutes les aptitudes au plus haut niveau de performance ou de masse. »

Devant donner à la France les moyens d’assurer son « indépendance nationale, son autonomie stratégique et sa liberté d’action », ce modèle d’armée, qui sera aussi « dynamique » puisqu’il s’adaptera « l’évolution de la conflictualité », apportera une « une légitimité complémentaire pour générer des partenariats et assurer le rôle de nation-cadre, en particulier pour ce qui relève des aptitudes militaires à haute valeur ajoutée détenues par quelques rares puissances. »

S’agissant des contrats opérationnels (effectifs et moyens), le document se borne à affirmer que « la dispersion des théâtres d’opération, la simultanéité et la durée des engagements nécessitent des volumes de forces disponibles (équipements, hommes et stocks) adaptés, avec une masse critique suffisante. »

S’agissant des équipements, la revue stratégique ne donne pas de volumes. Il y est seulement écrit que « pour la la protection permanente de notre territoire […] ou pour gagner les combats contre un adversaire plus au loin, il convient d’établir et de conserver un rapport de force favorable dans les milieux terrestre, maritime et aérien. »

Et de citer les efforts déjà engagés à cette fin, dont la modernisation des systèmes sol-air, les hélicoptères légers, les systèmes de lutte antidrones, la rénovation des frégates de défense aérienne, l’acquisition de moyens de détection et de neutralisation de la menace
RAM (Roquettes, artillerie et mortiers), le renouvellement de la capacité de chasse aux mines, la rénovation des Atlantique 2, de la flottille amphibie, des SNA [Barracuda, ndlr], l’acquisition de frégates de taille intermédiaire (FTI), de véhicules blindés protégés et connectés (JAGUAR, GRIFFON, VBMR légers) et de moyens d’appui génie et artillerie. »

Cela étant, la revue stratégique évoque très succintement trois programmes futurs. À commencer par celui d’un nouvel avion de combat, qui devrait faire l’objet d’une coopération avec l’Allemagne (du moins, si Berlin confirme sa participation). Puisque le document parle d’efforts à « accentuer » sur « sur l’obtention et la conservation de la supériorité aérienne », ce prochain appareil sera de 5e génération, comme le F-35A américain, le Su-57 russe ou le J-31 chinois.

« Contrer les postures de déni d’accès et conquérir la supériorité aérienne redevient un objectif préalable à toutes les opérations, ce qui implique des efforts renouvelés, qu’il s’agisse de parcs d’avions (en nette diminution en Europe), de capacités de pointe (avions de générations 4+ et 5, munitions spécialisées) ou de technologies de rupture », lit-on dans le chapitre dédié aux « aptitudes militaires à renforcer. »

Il y est aussi question, clairement cette fois, du  » Main Ground System », le successeur au char Leclerc, lequel fera, lui aussi, l’objet d’un développement avec l’Allemagne (l’industriel est d’ailleurs déjà trouvé : ce sera KNDS, la co-entreprise de Nexter de Krauss Maffei-Wegmann).

Enfin, la revue stratégique ne parle pas d’un second porte-avions, alors que la Marine nationale avait tenté de mettre ce sujet dans le débat public à l’occasion de l’élection présidentielle. « Le maintien de la supériorité aéromaritime implique de préparer le renouvellement
du groupe aéronaval », y est-il seulement écrit. Cela signifie que la France n’aura pas en permanence un porte-avions en mer.

Lors de son audition devant les nouveaux députés de la commission « Défense », en juillet, le chef d’état-major de la Marine (CEMM), l’amiral Christophe Prazuck, avait plaidé pour un second porte-avions, sans trop d’illusions. « C’est un investissement extrêmement lourd qui demande une programmation et une volonté affirmée. Donc une décision politique », avait-il dit. Une volonté qui ne figure donc pas dans la revue stratégique.

Le renouvellement du groupe aéronaval reste quand même un bon point, à condition que les études relatives à un nouveau porte-avions soient lancées sans tarder, afin de pouvoir conserver des capacités clés. « Pour garder du personnel compétent, encore faut-il qu’il fasse des ‘choses’. Et ce n’est pas en 2020 ou en 2022 qu’il faudra se poser cette question! Si nous ratons la fenêtre de 2018, nous nous exposerons à de gros problèmes par la suite. C’est le point critique », avait affirmé Hervé Guillou, le Pdg de Naval Group.

Maintenant que les objectifs ont été énoncés, reste à voir si les mesures et les moyens qui seront utilisés pour les atteindre seront suffisants. L’on sait déjà que le budget des armées augmentera de 1,7 milliards d’euros par an pendant le quinquennat. Mais cette trajectoire comporte quelques « chausse-trappes » susceptible de la faire dérailler, à commencer par cette idée de faire supporter à la seule mission Défense le coûts des opérations.

« Il va falloir faire entrer l’édredon dans la valise » car « les besoins dépassent largement les ressources », a par ailleurs lâché Jean-Paul Bodin, le Secrétaire général pour l’administration (SGA), devant les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées, le 11 octobre.

En outre, il faudra bien « absorber » la coupe de 850 millions décidée l’été dernier (Mme la ministre des Armées, Florence Parly, n’a pas donné les programmes qui ont été impactés par ce coup de rabot, lors de son audition par les députés). « Si l’on dit à un homme ‘courez!’, il ne faut pas commencer par lui lier les deux jambes », fait dire Paul Féval au Bossu (alias le chevalier Lagardère). D’autant plus s’il faut partir de loin.

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