Un rapport du Sénat donne une méthode pour porter le budget des Armées à 2% du PIB d’ici 2022

Invité de franceinfo, ce 13 juin, le Premier ministre, Édouard Philippe, a évoqué l’audit des finances publiques que doit lui remettre la Cour des comptes en juillet. Et, dans le cas où l’objectif d’un déficit public de 2,8% n’est pas atteint, alors « il va y avoir toute une série de mesures », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Ce qui est certain c’est qu’une fois qu’on aura le panorama complet, objectif, stabilisé de la situation budgétaire, il faudra qu’on regarde comment est-ce qu’on passe la fin de l’année. »

De quoi faire planer une menace sur le budget des Armées, même si ce dernier peut être considéré comme prioritaire. Pour rappel, le précédent gouvernement a gelé ou mis en réserve près de 2,7 milliards d’euros de crédits de la mission « Défense ».

Cela étant, comme l’ont souligné les sénateurs Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner, dans un rapport qu’ils viennent de publier [.pdf], la France n’a pas le choix de revoir à la hausse ses dépenses militaires. Après des années de coupes budgétaires, de déflation d’effectifs, de restructurations, de ruptures temporaires de capacité et de reports de programmes d’armement à des jours meilleurs, il y a maintenant urgence.

D’autant plus que la situation internationale, marquée par l’accentuation de la menace de la force (affirmation d’une politique de puissance de certains États) et celle des « risques de la faiblesse », ainsi que par le péril terroriste et les tensions régionales, fait que les besoins des armées sont croissants et rend nécessaire de revoir à la hausse leurs contrats opérationnels (actuellement dépassés de 30% environ). À cela, il faut encore ajouter de nouveaux domaines de conflictualité, comme l’espace et le cyber, les évolutions technologiques avec des ressources affectées au maintien en condition opérationnelle (MCO) plus importantes, la modernisation de la dissuasion nucléaire ou encore le soutien aux exportations.

Qui plus est, la France ne peut pas rester à l’écart de la hausse des dépenses militaires constatée dans le monde. « Qu’on le veuille ou non, il n’est pas sérieusement concevable de s’inscrire à rebours de cette tendance générale. Il faut donc, nous aussi, intensifier notre effort de défense, en retrouvant une pente de financement ascendante, en ce domaine, quittée depuis longtemps déjà », écrivent MM. Raffarin et Reiner.

En outre, dans le cadre de l’Otan, la France a pris l’engagement de porter son budget militaire à 2% du PIB d’ici 2024… Si cet objectif n’est pas pertinent en soi, voire « imparfait », il « revêt pourtant un utile rôle mobilisateur », estiment les deux sénateurs. Et comme l’avait souligné, il y a quelques mois, le député Yves Fromion, il « correspond aux réalités de notre défense, qui inclut des forces nucléaires ainsi que des forces conventionnelles d’un niveau suffisamment important. » Et c’est ce que ne cesse de répéter le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées (CEMA), qui le qualifie d' »effort de guerre. »

Aussi, MM. Raffarin et Reiner plaide pour un effort de défense équivalent à 2% du PIB d’ici 2022 (pensions et surcoûts opex/opint compris), ce qui supposerait d’allouer aux armées 2 milliards d’euros supplémentaires par an. « Le budget de la défense se trouverait ainsi porté à 35,5 milliards d’euros constants en 2018, 37,5 milliards en 2019 et 39,5 milliards en 2020 », précisent-ils. Et d’ajouter : « cette cible paraît en ligne avec l’ambition fixée par le Président de la République d’atteindre ces 2 % en 2025 mais hors pensions et surcoût OPEX. »

« L’atteinte de cet objectif est possible, l’ambition raisonnablement soutenable, sous réserve de prendre les dispositions qui s’imposent, selon trois axes d’effort », à savoir un « élan politique, indispensable, à donner clairement et sans tarder », une « trajectoire budgétaire […] rendue crédible par une double exigence de sécurisation des ressources et d’efficience des dépenses » et la poursuite de « la consolidation de la base industrielle et technologique de défense. »

Pour atteindre cet objectif, MM. Raffarin et Reiner donne une méthode précise. En premier lieu, il conviendrait de voter, sans plus attendre, une nouvelle Loi de programmation militaire (LPM) afin qu’elle « puisse prendre effet en 2018, le dépôt du projet de loi correspondant doit intervenir dès 2017. »

Et cela, sans passer par la rédaction d’un autre Livre Blanc sur la Défense, étant donné que les analyses contenues dans celui de 2013 sont « restées entièrement pertinente, mais en basant sur une « revue stratégique » devant être rapidement menée à bien . » Cette accélération du tempo doit permettre de prendre en compte les mesures décidées dans le courant de l’année 2016 par le président Hollande. Mesures qui n’ont pas été intégrée à la LPM en cours.

Par ailleurs, cette remontée en puissance compterait deux phases. La première viserait, entre 2018 et 2020, à combler les déficits capacitaires les plus urgents (accélération du programme Scorpion, aviation de transport, moyens de renseignement et de surveillance, patrouilleurs, etc…) et à mettre l’accent sur le MCO, la recherche et le développement et les infrastuctures. La second concernerait le renouvellement de la dissusion nucléaire.

Mais pour cela, encore faut-il y ait une volonté de politique. « Tout budget est un choix, ou plus exactement la somme d’un ensemble de choix. La situation préoccupante des finances publiques […] et les engagements européens de notre pays en la matière, appellent plus que jamais, comme chacun le sait, des arbitrages budgétaires difficiles », rappellent les deux parlementaires.

Et d’ajouter : « La défense, garante de la sécurité et de la souveraineté du pays, représente au sein du budget de l’État dans son ensemble, pour les autres politiques publiques, une forme de condition de possibilité. Dans le contexte des très fortes menaces que nous traversons, elle doit en conséquence être placée au premier rang des priorités ; et cette priorisation doit naturellement se traduire dans le niveau de son financement. »

Enfin, MM. Raffarin et Reiner mettent en garde le ministère des Comptes publics contre la tentation de rogner le budget des armées.

« Dans la gestion, il faudra proscrire les ponctions financières qui ne seraient pas compensées au budget de la défense, notamment dans le cadre des régulations de fin d’exercice, et assurer de façon ‘nominale’ l’exécution des dépenses prévues, en maintenant la plus grande vigilance sur le niveau du report de charges […] » et il « s’agira de proscrire le recours aux crédits extrabudgétaires et de rester prudent quant aux économies attendues de l’évolution des prix, compte tenu de la possibilité de retournements de la conjoncture économique », font-ils valoir, tout en n’exonérant pas le ministère des Armées des efforts nécessaires pour poursuivre sa transformation.

Les « décisions présidentielles, dans l’esprit de la Constitution de la Ve République, doivent prévaloir sans ambiguïté, même si, notamment, la préparation des projets de loi de finances adoptés en conseil des ministres et celle des choix entérinés en conseil de défense suivent des processus autonomes », insistent les deux sénateurs.

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