Les patrouilles dynamiques de l’opération Sentinelle supposent de lourdes contraintes

Lors de son lancement, en janvier 2015, l’opération intérieure (OPINT) Sentinelle se traduisait essentiellement par la garde statique de lieux susceptibles d’être visés par une attaque terroriste. L’un des inconvénients de cette posture, au-delà de la lassitude qu’elle pouvait susciter, était que les soldats ainsi mobilisés constituaient des cibles potentielles, comme ce fut le cas à Nice (février 2015) ou à Valence (1er janvier 2016).

« Employer un soldat, dont la formation est très onéreuse, dans le rôle d’un employé de société de gardiennage est un véritable gâchis, au plan opérationnel et au plan budgétaire. […] L’armée n’est pas un stock de vigiles à déployer devant les lieux de culte! », avait par ailleurs déploré le général (2S) Vincent Desportes, dans les colonnes du quotidien Les Échos.

Puis, le dispositif a progressivement évolué vers des patrouilles dites dynamiques, effectuées à pied ou en véhicule, de façon aléatoire afin de garantir leur efficacité. En effet, ces dernières permettent théoriquement de « décourager » un assaillant potientiel dans la mesure où il peut tomber à tout moment sur une patrouille. Et, en cas d’attaque, elles peuvent apporter une réponse très rapide et « puissante ».

En outre, ce dispositif « dynamique », généralisé depuis l’automne dernier, devait être « plus valorisant pour nos hommes », comme le fit valoir, en octobre 2015, le général Jean-Pierre Bosser, le chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT).

Seulement, cette « dynamisation » de l’opération Sentinelle, si elle a des avantages, présente des aspects contraignants pour les soldats concernés. C’est ce que l’on peut lire dans une « lettre du RETEX » [retour d’expérience, ndlr], rédigée par un capitaine du 19e Régiment du Génie (RG) et publiée récemment par le Centre de Doctrine et d’Enseignement du Commandement de l’armée de Terre.

Pour un capitaine de compagnie, cette dynamisation a ainsi « relativement gagné en intérêt ». Seulement, la mission « reste souvent très rebutante pour l’exécutant », étant donné que les soldats en patrouille « effectuent un travail souvent répétitif et extrêmement monotone, alors qu’ils ne bénéficient pas toujours – heureusement – de cette paradoxale ‘récompense de l’action’ qu’ils espèrent ou redoutent, et qui les change d’un quotidien perçu comme peu engageant : prêt de main-forte aux forces de l’ordre, flagrant délit, secours à personne », est-il expliqué dans cette lettre du RETEX.

Qui plus est, les patrouilles à pied finissent pas être éprouvante pour les soldats, qui partent en mission avec 20 kg d’équipements sur le dos, quelles que soient les conditions météorologiques, lesquelles peuvent être particulièrement éprouvantes, comme cela fut le cas lors de la canicule d’août 2016.

« En considérant que les soldats patrouillent huit heures par jour, ils parcourent entre 22 et 28 kilomètres par jour. Selon le rythme adopté, ils font donc de 50 kilomètres – pour 2 jours de travail
d’affilée – à 100 kilomètres à pied – pour 4 jours – avant d’entamer une phase de repos », explique ce capitaine du 19e RG.

Et la phase de repos n’en est pas vraiment une puisqu’elle comporte des temps dédiés à l’instruction, « pendant lesquels l’attention est loin d’être optimale », souligne-t-il. « Des objectifs d’entraînement ambitieux – quoique nécessaires, pour préserver des savoir-faire qui ne s’acquièrent et ne se gardent que par un entraînement et un drill réguliers – se heurtent vite à la fatigue cumulée des soldats et ne peuvent être réellement atteints. La conservation des capacités propres de l’unité devient donc une préoccupation aiguë du commandant d’unité, tandis que certaines unités peuvent faire jusqu’à à six mois en mission Sentinelle par an », ajoute l’officier.

S’agissant de l’efficacité au niveau d’une compagnie, l’opération Sentinelle suscite de « grosses difficultés pour entraîner les soldats et maintenir ou élargir les qualifications », en particulier celles les plus en pointe, lesquelles exigent des stages plus au moins longs. « Afin de pouvoir envoyer les soldats en formation, on mène donc des relèves internes très régulières. Mais ce faisant, on casse la structure organique des sections, qui, en plus de cesser d’être des espaces de vie, sont de moins en moins des espaces de cohésion. Quoiqu’il soit difficile de mesurer cette donnée précise, il est pourtant certain que l’efficacité de l’unité est réduite d’autant », prévient le capitaine du 19e RG.

Cela étant, l’opération Sentinelle, qui a « surtout mis ‘du vert dans la ville' », est plebiscitée par l’opinion publique, avec un taux d’approbation de 77% selon les derniers sondages. Et, durant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait indiqué qu’il adapterait progressivement ce dispositif « en fonction de l’appréciation de la menace terroriste sur le territoire. »

Visiblement, les 7.000 soldats de cette opération (plus 3.000 autres en réserve) risquent encore d’y être engagés pour un bon moment encore. « Pour l’instant je crains que les informations qui sont à notre disposition ne nous incitent pas à baisser la garde », a déclaré Sylvie Goulard, la ministre des Armées, lors d’une rencontre avec des militaires de Sentinelle, le 20 mai, à Paris.

Photo : (c) SGT Jean-Baptiste T/armée de Terre

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