Le chef d’état-major de l’US Army veut que ses officiers fassent preuve de « désobéissance disciplinée »

 

Voilà un concept qui ne manquera pas de surprendre et qui aurait donné quelques vapeurs au fameux colonel Lard (celui qui, toujours à cheval sur le règlement, ne manquait pas une occasion d’ennuyer le major Boyington)… Lors d’une conférence donnée à l’Army and Navy Club de Washington, le 4 mai, le général Mark Milley, le chef d’état-major de l’US Army, a en effet estimé que, « si suivre chaque ordre à la lettre est largement considéré comme un mode de vie dans l’armée, ce n’est pas toujours le meilleur moyen d’action ».

Pourtant, il est communément admis que la discipline « fait la force des armées. » C’est « fondamental », a même assuré le général Milley. « Mais un subordonné doit comprendre qu’il est libre de désobéir à ordre spécifique afin d’atteindre un but », a-t-il dit. C’est ce qu’il appelle « la désobéissance disciplinée. »

Le général Milley a donné un exemple. Si un officier a reçu l’ordre de s’emparer de la colline n°1 dans le but de « détruire » l’ennemi alors que ce dernier se trouve en réalité sur la colline n°2.

« Est-ce qu’il fait ce que je lui ai dit de faire, c’est à dire conquérir la colline n’°1, ou bien aller détruire l’ennemi, qui est l’objectif final, sur la colline n°2? » a demandé le général Milley. Pour lui, la réponse est claire : l’officier doit désobéir à l’ordre lui intimant de prendre la colline n°1 et de s’attaquer à la colline n°2. Et, pour cela, il ne devrait pas en demander l’autorisation à sa hiérarchie.

En d’autres termes, pour le patron de l’US Army, le plus important est de fixer des objectifs et de laisser le maximum de latitude aux officiers sur le terrain pour les atteindre. « Nous devons faire confiance à nos subordonnés. Donc, vous leur donnez des tâches, vous leur donnez un but, et vous leur faites confiance pour qu’ils réalisent vos intentions », a-t-il déclaré.

« Je pense que nous sommes trop centralisés et trop bureaucratiques tout en ayant une aversion pour le risque », a estimé le général Milley. « Cet environnement trop bureaucratique peut fonctionner en garnison, en temps de paix… Mais c’est le contraire de ce que nous aurons besoin dans n’importe quel type de guerre, en particulier dans celui que je prévois », a-t-il expliqué.

S’agissant des conflits à venir, dont les batailles de Mossoul et d’Alep sont un avant-goût, le général Milley estime qu’ils concerneront essentiellement le milieu urbain. « En 2050, environ 90% de la population mondiale vivra probablement dans des zones urbaines complexes et très denses », a-t-il relevé, en soulignant que cela aura des implications « énormes » pour les forces armées. En outre, il faudra également compter sur les capacités dites « nivelantes », c’est à dire susceptibles de défier la supériorité technologique des armées occidentales.

Par ailleurs, le chef de l’US Army pense que les militaires américains devront abandonner le confort qu’ils connaissent actuellement sur les théâtres extérieurs. En somme, il devront faire comme leurs homologues français, habitués à vivre dans une certaine « rusticité » (voir les conditions de vie de l’opération Sangaris, par exemple), tout en faisant preuve d’un sens pratique évident (le fameux système D).

« Il y a une génération entière d’officiers qui pense, en fonction de son expérience, que le combat consiste à se battre à partir de la base de la Victory ou de Bagram, où on a accès à tout le confort que l’on souhaite. Pizza Huts, Burger Kings et plein de choses comme ça », a dit le général Milley. Or, dans les conflits futurs, ce sera terminé dans la mesure où il faudra apprendre à manoeuvrer dans un « environnement dynamique ».

Aussi, estime-t-il, l’US Army doit « apprendre à […] se débrouiller en coupant le cordon ombilical avec la logistique » et le « confort que « les forces américaines apprécient depuis longtemps ». En outre, il faudra également qu’elle se prépare, en raison des capacités « nivelantes » de l’ennemi, à être plus autonome par rapport à la technologie.

Ce débat sur le « confort » que l’on peut trouver sur les bases avancées américaines établies à l’étranger n’est pas nouveau. En 2011, le général Stanley McCrystal, alors commandant des forces de l’Otan en Afghanistan, avait banni les retaurants de type fast food sur les emprises occupées par ses troupes, considérant qu’il ne fallait pas confondre « zone de guerre » et « parc d’attractions » et que le ravitaillement était déjà bien assez compliqué. Pour lui, ce confort était un « luxe inutile ». « Je ne veux pas être le premier général américain à dire à une mère en deuil que son fils est mort pour livrer une pizza congelée », avait-il lancé.

Seulement, ces restrictions ne durèrent pas : elles furent en effet levées par son successeur, le général David Petraeus, au nom du moral des troupes.

 

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