Londres dénonce l’incursion « illégale » d’une corvette espagnole dans les eaux de Gibraltar

Bien qu’ayant voté à une écrasante majorité en faveur du maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, en juin 2016, Gibraltar tient à rester britannique, comme c’est le cas depuis la signature des traités d’Utrecht (juillet 1713), lesquels mirent fin à la guerre de Succession d’Espagne.

Seulement, Madrid n’a jamais renoncé à reprendre possession de Gibraltar, territoire de 6,8 km² conquis par l’amiral britannique George Rooke en 1704. Lors de la guerre d’indépendance américaine, l’Espagne tenta de ravir le Rocher aux Britanniques en imposant un siège qui dura trois ans.

Plus récemment, et alors que le résultat d’un référendum d’autodétermination fut largement favorable au maintien de la souveraineté britannique sur Gibraltar, le général Franco décida de fermer la frontière avec ce territoire. Cette mesure, prise en 1968, ne sera levée qu’en 1985.

Depuis, Gibraltar donne lieu ponctuellement à des disputes entre les autorités britanniques et espagnoles. Comme en 2013, quand Madrid contesta le statut particulier de ce territoire, qui en fait un paradis fiscal ou quand les autorités du Rocher remirent en cause une convention signée en 1999 sur les droits de pêche.

Mais la perspective du Brexit a ravivé les tensions, avec la présentation par le président du Conseil européen, Donald Tusk, de la feuille de route détaillant les conditions de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Ce document précise qu' »aucun accord entre l’UE et le Royaume-Uni ne pourra s’appliquer au territoire de Gibraltar sans un accord entre le Royaume d’Espagne et le Royaume-Uni. » En clair, Madrid aura son mot à dire et pourrait éventuellement bloquer l’accès de la possession britannique à tout accord commercial négocié par Londres avec l’UE. On aurait voulu mettre le feu aux poudres que l’on n’aurait pas fait autrement.

Évidemment, le gouvernement espagnol s’est dit « satisfait » de cette orientation, qui reste encore à être approuver par les 27 États membres de l’UE. Mieux encore : il a, dans le même temps, assuré qu’il ne s’opposerait pas à l’adhésion d’une Écosse indépendante à l’UE.

Que ce soit à Gibraltar ou à Londres, les réactions ont été vives. « Gibraltar ne peut pas se marchander. Gibraltar ne sera pas soldé », a ainsi martelé Boris Johnson, le ministre britannique des Affaires étrangères. Ministre en chef de Gibraltar, Fabian Picardo a dénoncé « la machination prévisible de l’Espagne », qu’il accuse de chercher « à manipuler le Conseil européen pour poursuivre ses propres intérêts politiques mesquins. »

Membre influent du Parti conservateur, Michael Howard, Baron Howard of Lympne, y est allé encore plus fort en évoquant l’intervention militaire décidée par Margaret Thatcher en 1982 pour reprendre possession des îles Falklands/Malouines à l’Argentine.

« Il y a 35 ans cette semaine, une autre femme première ministre a envoyé l’armée à l’autre bout du monde pour défendre la liberté d’un autre petit groupe de Britanniques contre un autre pays hispanophone, et je suis absolument certain que notre actuelle Premier ministre fera preuve de la même résolution pour les habitants de Gibraltar », a-t-il en effet lancé sur le plateau de SkyNews. Et cela, alors que le Royaume-Uni et l’Espagne sont alliés au sein de l’Otan (ce qui, d’ailleurs, rend théoriquement improbable l’issue développée par lord Howard).

Cela étant, le gouvernement britannique n’a pas pris ses distances avec ces propos. « Lord Howard essayait simplement de montrer notre résolution à protéger les droits de Gibraltar et sa souveraineté », a seulement réagi un porte-parole de Downing Street. Mieux : le ministre britannique de la Défense, Michael Fallon, a assuré que le Royaume-Uni « protégerait et défendrait la population de Gibraltar jusqu’au bout. »

C’est donc dans ce contexte que la corvette espagnole Infante Cristina a fait une incursion dans les eaux de Gibraltar, le 4 avril. D’habitude, cela ne prête guère à conséquence. D’après les autorités du territoire britannique, c’est d’ailleurs arrivé à 434 reprises entre le 1er novembre 2015 et le 31 octobre 2016, sans que cela ait provoqué de tensions particulières.

Sauf que, au regard du contexte actuel, le passage de la corvette espagnole dans les eaux de Gibraltar a contraint un patrouilleur de la Royal Navy, le HMS Scimitar, à intervenir. Et il a été vivement dénoncé. « L’incursion illégale d’un vaisseau aujourd’hui est une preuve opportune de la manière dont l’Espagne se comporte habituellement, en violation de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer », a fait valoir un porte-parole du gouvernement de Gibraltar.

À Londres, le gouvernement n’a pas été en reste. « La Royal Navy conteste toute incursion maritime illicite dans les eaux territoriales britanniques de Gibraltar », a affirmé un porte-parole. Et la presse d’outre-Manche a ironisé sur cet incident en oubliant toute modération, à l’image du Daily Mail qui a cherché à ridiculiser la marine espagnole.

Quant à cette dernière, elle a nié toute incursion illégale. Son état-major a ainsi indiqué la corvette n’a fait qu’effectuer une mission de surveillance des eaux territoriales espagnoles allant de la mer d’Alboran au golfe de Cadix, comme cela est le cas « presque tout au long de l’année. » L’Espagne ne reconnaît en effet la souveraineté britannique que sur les eaux du port intérieur de Gibraltar, et non autour du Rocher.

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