Une épée de Damoclès suspendue au-dessus des capacités de projection des forces françaises

Entre le 11 janvier et le 28 février 2013, et en plus des 110 vols effectués par les alliés (avec essentiellement des C-17), il aura fallu 169 vols d’avions de transport à très grande capacité pour acheminer au Mali les matériels nécessaires à l’opération Serval.

Depuis 2001, les besoins exprimés en la matière par les forces françaises ne cessent de croître. Et cela, alors que les moyens de l’armée de l’Air sont des plus limités dans ce domaine.

Pour les vols stratégiques, cette dernière ne peut s’appuyer que sur un nombre réduit d’appareils qui, pour la plupart, sont anciens (2 A340, 3 A310 et 14 avions ravitailleurs qui, comme leur nom l’indique, ne sont pas limités à cette seule fonction). Quant au transport tactique (intra-théâtre), la situation demeure préocuppante, avec des Transall C-160 en nombre toujours plus réduit d’année en année et des C-130H Hercules affichant un disponibilté technique désespérément basse.

Bien sûr, l’arrivée attendue de nouveaux avions ravitailleurs (A330 MRTT Phénix) et la montée en puissance des A400M « Atlas » remédieront sans doute partiellement à ce déficit capacitaire, dont personne, ou presque, ne parle quand il s’agit d’évoquer « l’autonomie stratégique » de la France.

Cela étant, les capacités en matière de transport stratégique resteront insuffisantes. Comme le souligne le député François Cornut-Gentille, dans un rapport sans concession sur ce sujet, l’A400M, de par sa capacité d’emport maximale, « ne peut être une solution pour le transport stratégique de fret » et il « ne rivalisera jamais avec les gros porteurs, An-124 ou C5 ».

D’où le recours à des prestataires civils extérieurs pour acheminer le fret sur les théâtres extérieurs. Mais cela soulève des problèmes très gênants.

L’affrètement aérien fait l’objet de deux procédures distinctes : l’une basée sur le contrat SALIS, qui, dans le cadre de l’Otan, s’appuie sur les entreprises RUSLAN et Antonov, l’autre, dite « à bons de commande », dont le marché a été attribué à la société International Chartering Systems (ICS), laquelle s’appuie sur plusieurs sous-traitants, dont Transaviaexport (Biélorussie), Ukraine Air Alliance, Flight Unit 224 – TTF Air 224 TH et Aviacon Zitotrans (Russie). Dans un cas comme dans l’autre, les besoins en transport aérien stratégique sont donc couverts par des entreprises ukrainiennes ou russes.

« Pour bénéficier des plus grosses capacités de transport aérien stratégique que ce soit via SALIS ou les marchés publics opérés directement par le ministère de la Défense, la France, fait donc face à un oligopole de trois compagnies : FU224 (ministère de la Défense russe), Volga-Dniepr (société privée russe), ADB (société privée ukrainienne) », fait en effet remarquer M. Cornut-Gentille. Ce qui n’est pas anodin : « Ceci signifie que, pour la projection et l’entretien de nos forces armées sur les théâtres extérieurs, la France est soumise au bon vouloir d’opérateurs russes et ukrainiens », déplore-t-il.

Et d’insister : « Du point de vue des intérêts de la France, le contrat SALIS et le marché à bons de commande, loin de diversifier la flotte de gros-porteurs, ne desserrent pas l’étau de dépendance envers la Russie et l’Ukraine. Le ministère de la Défense et le ministère des Affaires étrangères sont ici des adeptes de la méthode Coué : les armées se satisfont du bon acheminement du fret et les diplomates de la solidité du couple franco-allemand au sein de l’Otan! Tous feignent de ne pas voir que, dans les faits, ce sont les Russes et les Ukrainiens qui ont la maîtrise de la projection de nos forces sur les théâtres extérieurs. »

En clair, si, demain, le Kremlin décide de suspendre les vols d’avions gros porteur (AN-124, IL-76 et AN-225) pour une raison ou une autre, alors les opérations extérieures françaises seraient menacées, que ce soit lors de la phase d’intervention ou de retrait. Une alternative serait de faire partie du dispositif « Strategic Airlift Capability » (SAC) de l’Otan, qui propose une flotte d’avions C-17. Mais là encore, « les incertitudes pesant sur la stratégie américaine […] laissent planer également de fortes incertitudes » sur son avenir.

Aussi, M. Cornut-Gentille n’hésite pas à parler de « véritable épée de Damoclès » suspendue « au-dessus de la France par la Russie et l’Ukraine en matière de transport stratégique », ces deux pays étant en position de « paralyser totalement les capacités de projection aérienne de la France. »

Qui plus est, on lit, plus loin dans le rapport, que les équipages russes, ukrainiens ou azéris ne font l’objet « d’aucune enquête » alors qu’ils sont aux commandes d’appareils « transportant des militaires et du matériel français. » Mieux : « La présence d’un militaire français dans l’avion n’est pas systématique. La seule garantie est la présence à bord d’un représentant de l’affréteur à propos duquel personne ne vérifie l’autonomie.

Sans doute que la solution passerait par l’aquisition patrimoniale d’avions gros porteurs. En tout cas, ce sujet, qui n’est, encore une fois, jamais évoqué, mériterait que l’on s’y attarde. Les sociétés de projet, un temps voulues par le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, pour pallier à l’absence de recettes exceptionelles, pourraient finalement servir.

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