Les Balkans occidentaux à nouveau sous tension

« Les Balkans produisent plus d’histoire qu’ils n’en peuvent consommer », a dit Winston Churchill. Aussi, l’on aurait tort de se désintéresser de cette partie du monde, estimant que les guerres qui y ont eu lieu dans les années 1990 font définivement partie du passé. Car cette région connaît de nouvelles tensions susceptibles de dégénérer si l’on n’y prend pas garde. Le tout sur fond de menace jihadiste (notamment en Bosnie-Herzégovine), de trafics et d’influence russe (voire turque).

D’ailleurs, la semaine passée, les ministres de la Défense de la Croatie et de l’Albanie – respectivement Damir Krsticevic et Mimi Kodheli -, ont mis en garde Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan, sur le risque de déstabilisation du Kosovo ainsi que, plus généralement, les Balkans.

En effet, dans un courrier adressé à M. Stoltenberg, ces deux ministres ont fait part de leur « inquiétude à cause de récents événements pouvant affecter la sécurité du Kosovo, mais aussi la sécurité dans un contexte (régional) plus large » et appelé l’Otan à garder « son attention sur le maintien de la sécurité », de cette ancienne province serbe, devenue indépendante en 2008.

Pour rappel, l’Otan maintient une force militaire (KFOR) au Kosovo depuis près de 18 ans. En outre, Pristina et Belgrade ont ouvert un dialogue en 2011, sous l’égide de l’Union européenne. Mais depuis le début de cette année, leurs relations se sont passablement dégradées, notamment avec l’arrestation, en France, à la demande de la Serbie, de l’ex-Premier ministre kosovar Ramush Haradinaj, soupçonné d’avoir commis des crimes de guerre lorsqu’il était un responsable des rebelles de l’UCK pendant la guerre de 1998-1999.

Autre incident : le 14 janvier, un train parti de Belgrade pour Mitrovica [nord du Kosovo, ville majoritairement peuplée de Serbes, ndlr] et couvert d’inscriptions du style « le Kosovo, c’est la Serbie », a donné lieu à une violente polémique entre les deux capitales. Finalement, le convoi n’est jamais arrivé à destination, le Premier ministre serbe, Aleksandar Vucic, ayant donné l’ordre de l’arrêter à la frontière tout en accusant Pristina d’avoir voulu « provoquer un conflit de large envergure » en déployant une unité spéciale de ses forces de police.

Cela étant, le Kosovo tarde de son côté à appliquer un accord sur la création d’une association de municipalités serbes dans le nord du pays, dont, pour rappel, l’indépendance n’a jamais été reconnue par la Serbie. La raison avancée est qu’il y aurait un risque de voir se former une « république serbe du Kosovo », à l’image de celle qui existe en Bosnie-Herzégovine. Cette dernière aurait des velléités sécessionistes à l’égard de Sarajevo, sous le regard bienveillant de Belgrade. Son président, Milorad Dodik, serait même dans le collimateur des États-Unis pour son obstruction « active » aux accords de Dayton (signés en 1995). Fin janvier, le journal bosnien Oslobodjenje s’inquiétait même du retour de la guerre…

Signe de la tension entre la Bosnie-Herzégovine et la Serbie, Sarajevo a fait part de son intention, le 17 février, de demander à la Cour internationale de justice (CIJ) de revoir son verdict qui, rendu en 2007, disculpait la Serbie, alors accusée d’avoir orchestré « un génocide » dans les années 1990. Et cela ne va pas sans susciter des tensions avec les Serbes de Bosnie, pour qui cette décision est de nature à « menacer la paix et la stabilité » du pays. « Nous sommes intéressés par un processus de réconciliation basé sur la vérité et la justice », rétorqué Bakir Izetbegovic, membre bosniaque de la présidence collégiale de Bosnie.

Par ailleurs, lors d’un déplacement à Sarajevo, le 2 février, le secrétaire général de l’Otan a évoqué une « influence accrue » de la Russie dans les Balkans occidentaux. Une influence, a-t-il dit, « surveillée de près ». Et d’appeler Sarajevo à « continuer à renforcer le partenariat » avec l’Alliance atlantique, meilleur moyen, selon lui « d’éviter de nouveaux conflits et des nouvelles tensions. »

Seulement, cette possible intégration de la Bosnie-Herzégovine à l’Otan suscite déjà une forte opposition des Serbes de Bosnie. Comme c’est d’ailleurs le cas au Monténégro, où le processus d’adhésion est déjà bien entamé. Là, la minorité serbe, proche de Belgrade et de Moscou, ne veut pas en entendre parler. D’ailleurs, Podgorica a mis en cause des « structures d’État russes  » dans le mystérieux complot déjoué en octobre dernier, à la veille d’élections législatives remportées par le parti au pouvoir. La Russie y a répondu en parlant d’accusations « graves » et « irresponsables ».

Il faut dire que l’Otan a renforcé sa présence dans les Balkans occidentaux au cours de ces dernières années. Outre la KFOR au Kosovo, l’organisation a signé un partenariat avec la Bosnie et accueilli dans ses rangs l’Albanie et la Croatie, où le quotidien Jurtanji List a rapporté que l’envoyé spécial de Belgrade à Zagreb aurait affirmé que « la Serbie défendrait par tous les moyens les Serbes de Croatie », lesquels représentent 4,4% de la population croate.

Or, pour garder une influence dans la région, la Russie peut compter sur au moins un atout : la Serbie. Aussi, le Jurtanji List se posait la question : Les Balkans sont-ils en train de devenir le nouveau théâtre du bras de fer qui se joue entre les grandes puissances mondiales? ». Il est à craindre qu’ils le soient déjà.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]