La modernisation de la dissuasion nucléaire française devra faire face à au moins trois enjeux

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Le renouvellement des composantes aéroportées et océaniques de la dissuasion nucléaire française exigera un effort financier conséquent, qui atteindra les 6 milliards d’euros par an à l’horizon 2025. Il s’agira de construire de nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE 3G) ainsi que de développer l’ASN4G, c’est à dire le successeur du missile de croisière ASMP-A, voire un « porteur ».

Pour les SNLE de 3e génération, l’accent devrait être mis l’amélioration de la discrétion, en prenant en compte les dernières évolutions technologiques en matière de détection acoustique, de cybersécurité ou encore de drones sous-marins ainsi que l’apparition de nouvelles vulnérabilités potentielles. Quant au ASN4G, il devra être en mesure de déjouer les systèmes de défense aérienne soit en misant sur l’hypervélocité, soit en jouant sur la furtivité (voire les deux).

Cette modernisation des composantes de la dissuasion nucléaire compte au moins trois enjeux de taille. Le premier porte sur la sécurité de l’approvisionnement en matériaux. Sans trop entrer dans les détails, le cas du tritium, qui permet d’accroître le rendement des armes thermonucléaires, peut poser problème.

« 50 % du stock [de tritium] est perdu tous les douze ans en raison de sa désintégration en hélium; l’objectif est de parvenir à en reproduire à un horizon de dix ans », ont en effet noté les députés Jean-Jacques Bridey et Jacques Lamblin, dans leur rapport sur les enjeux industriels et technologiques du renouvellement des moyens de la dissuasion nucléaire [.pdf].

« Le maintien de la sécurisation d’approvisionnement est devenu de plus en plus complexe en raison d’une modification en profondeur de la base équipementière, tant du fait des modifications capitalistiques que des réorganisations internes », lit-on dans le document.

D’une manière générale, ont expliqué les députés lors de l’examen de leur rapport en commission, « la situation est maîtrisée, notamment en raison de la vigilance permanente de la DGA, de la DAM [Direction des applications militaires] et des industriels », il existe cependant un « léger risque lorsque la France est mono-sourcée », comme c’est le cas pour l’uranium extrait au Niger.

Pour éviter un éventuel embarras, les rapporteurs plaident pour la mise en place de « filières nationales en cas de doute sur la pérennité d’une source d’approvisionnement. » Mais ce problème ne touche pas seulement les matériaux : les composants, notamment électroniques, peuvent également être concernés.

« Pour nombre de systèmes ou d’équipement, le maître d’œuvre ne dispose que d’un fournisseur français, seul dépositaire du savoir-faire technique. Il y a en ce cas un vrai risque de tarissement. Ainsi, alors que l’électronique embarquée est d’autant plus nécessaire pour améliorer la précision et la pénétration des défenses, il faudra être vigilant sur le devenir de Soitec ou de ST Microelectronics pour le maintien d’une filière nationale de composants électroniques », préviennent les deux députés.

De là vient le second enjeu : celui de la préservation du tissu industriel français, alors que « nombre d’entreprises, souvent des PME, sont en difficulté sur plusieurs points : sécurité l’approvisionnement, robustesse financière, permanence de l’activité défense, maintien des compétences. »

En outre, les entreprises françaises certains savoir-faire liés à l’arme nucléaire intéressent des investisseurs étrangers.

« Au fil des années, on constate un intérêt grandissant des puissances étrangères, maîtrisant l’arme nucléaire ou désirant s’en doter, pour les entreprises du tissu industriel français », font remarquer les rapporteurs. Aussi, ajoutent-ils, il est « indispensable de surveiller l’évolution du capital de celles qui échappent parfois à l’attention tant des acteurs publics que des grands acteurs industriels, en raison de leur taille ou de la spécificité de leur activité. »

Par exemple, pour le profane, le reprise du sidérurgiste Industeel par ArcelorMittal, groupe né de l’OPA de Mittal Steel Company sur Arcelor, n’aura été qu’un épisode comme un autre de la vie économique. Sauf que cette entreprise produit des aciers à haute résistance (notamment aux hautes pressions) destinés à la construction des coques de sous-marins conçus par DCNS.

Même chose pour les turbines à vapeur (TAV), avec Thermodyn. Ce fournisseur historique de DCNS est l’unique acteur, en France, sur ce segment de marché. Intégré depuis 2000 au groupe américain General Electric.

Or, rachat récent, par ce dernier, d’Alstom, « en supprimant une seconde source potentielle d’approvisionnement (activité TAV UK d’Alstom), renforce encore la position monopolistique du groupe américain et avec elle la situation de dépendance de DCNS vis-à-vis de son fournisseur », soulignent les députés, qui ont encore pris l’exemple de l’entreprise Moteurs Baudoin, le dernier spécialiste français des moteurs Diesel rapides pour la marine repris par le chinois Weichai Power.

Enfin, le troisième et dernier enjeu porte sur le maintien de certaines compétences spécifiques, qui, comme le dit l’adage de Patrick Boissier, le président du GICAN, sont « longues à acquérir, rapides à perdre et impossible à récupérer. »

Ainsi, rien que pour la construction de sous-marins nucléaires, l’on compte au moins 30 compétences rares, dont 12 dites orphelines (navigation inertielle, sûreté nucléaire des armes, sûretés réciproques des armes, pyrotechnie, furtivité par l’invulnérabilité, etc). En outre, il y a quelques inquiétudes sur les métiers techniques (soudeurs, câbleurs, tourneurs, charpentiers de marine, etc…), victimes de pénuries.

Ces dernières, expliquent, avec une lapalissade, les rapporteurs, sont causées « par la concomitance entre la raréfaction de la ressource et l’augmentation de la demande. » Et d’ajouter : « Au-delà du seul monde de la dissuasion, c’est d’ailleurs l’ensemble des acteurs industriels qui peinent à recruter des techniciens qualifiés et les entreprises de la dissuasion doivent également subir la concurrence des entreprises civiles, en raison de l’extension des programmes nucléaires civils qui demandent parfois des compétences similaires, et plus largement de l’ensemble des secteurs industriels. »

S’agissant des ingénieurs, il n’y a pas (encore) péril en la demeure. « Le niveau de formation est plutôt satisfaisant et il n’y a pas de réel problème de recrutement, même si certains industriels ont souligné qu’une attention particulière devrait être accordée dans les domaines critiques de l’hydrodynamique et de l’aérodynamique, le domaine de la pénétration et celui du guidage/navigation », ont relevé les deux députés.

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