Kaboul s’inquiète des relations de la Russie et de l’Iran avec le mouvement taleb

 

Pour la Russie, il est important que l’Afghanistan soit stabilisé afin d’éviter toute contagion jihadiste en Asie centrale qui serait susceptible de l’atteindre. D’où le renforcement de sa présence militaire au Tadjikistan. Or, le gouvernement afghan est actuellement en difficulté face au mouvement taleb et il ne contrôlerait plus que 60% de son territoire.

« La situation dans la région située entre l’Inde et la Russie reste tendue. En particulier, la situation en Afghanistan continue de susciter des inquiétudes. Des mesures résolues sont nécessaires pour aider le pays à faire face aux défis et menaces tels que le terrorisme, l’extrémisme et le trafic de drogue », affirmait encore récemment Vladimir Poutine, le président russe.

Mais ce que la Russie redoute le plus est l’implantation de l’État islamique (EI) en Afghanistan, et non l’arrivée éventuelle au pouvoir du mouvement taleb afghan, jugé moins dangereux étant donné que ses motivations sont essentiellement nationalistes et qu’il n’a donc pas l’intention de mener des actions au-delà des frontières afghanes. En clair, pour Moscou, les taliban ne représentent pas une menace directe.

D’où les propos tenus le 23 décembre 2015 par Zamir Kabulov, un responsable du ministère russe des Affaires étrangères, pour qui les intérêts de la Russie « coïncident objectivement » avec ceux des taliban dans la lutte contre l’État islamique. Et, toujours d’après lui, Moscou avait ouvert des « canaux de communication » avec le mouvement taleb pour « échanger des informations ».

« Les taliban d’Afghanistan comme les taliban du Pakistan ont déclaré qu’ils ne reconnaissaient pas (le chef de l’EI) Al-Baghdadi comme calife, qu’ils ne reconnaissaient pas l’EI (…) et ils portent déjà des coups durs à l’EI », avait-il expliqué à l’époque.

Seulement, ces relations entre la Russie et le mouvement taleb afghan ne sont-elles que politiques? Moscou l’assure, expliquant que son action vise surtout à amener les taliban à la table des négociations avec les autorités actuellement en place à Kaboul. Seulement, les responsables de la défense et du renseignement afghans ont des doutes, après une série de réunions récentes au Tadjikistan, entre des émissaires russes et des chefs taliban, dont le mollah Abdul Salam, le gouverneur officieux de la province de Kunduz .

Un haut responsable afghan a récemment estimé que ces relations russes avec le mouvement taleb constituait une « nouvelle tendance dangereuse ». Un avis partagé par le général américain John Nicholson, qui commande la mission « Resolute Support » de l’Otan.

Lors d’une conférence de presse donnée à Washington, plus tôt dans le mois, le général Nicholson a affirmé que la Russie avait rejoint l’Iran et le Pakistan, deux pays qui ont une « mauvaise influence » en Afghanistan. Ce que l’ambassadeur russe en poste à Kaboul, Alexander Mantitski, a immédiatement nié. « Nous n’entretenons pas de relations intensives avec les taliban », a-t-il assuré, expliquant que les relations de Moscou avec eux visent à « encourager les pourparlers de paix. »

En tout cas, les députés afghans n’ont pas été convaincus par le diplomate russe. Et, la semaine passée, certains d’entre eux ont demandé l’ouverture d’une enquête sur la nature des relations entre la Russie et le mouvement taleb.

D’autant plus qu’il a été fait état de vols suspects d’hélicoptères et de saisies d’armes de fabrication russe (ce qui, en soit, n’est pas surprenant dans le pays). « Si les taliban mettent la main sur des armes anti-aériennes fournies, par exemple, par la Russie, la donne sera différente et il faudra oublier la paix », a commenté le général Qasim Jangalbagh, le chef de la police pour la province de Kunduz, cité par l’agence Reuters.

Le président du Sénat afghan, Fazal Hadi Muslimyar, est allé encore plus loin en affirmant que le gouvernement avait trouvé des « preuves » de la « coopération de la Russie et de l’Iran avec les taliban ».

L’accusation concernant l’Iran n’est pas nouvelle, même si elle peut sembler paradoxale. En 2009, le rapport d’évaluation stratégique de la situation en Afghanistan rédigé par le général Stanley McChrystal, alors commandant de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), l’avait évoquée, estimant que « la Force Qods [l’unité des Gardiens de la Révolution chargée des opérations extérieures, ndlr] entraînerait certains groupes taliban et fourniraient d’autres formes d’assistance militaire aux insurgés. »

« Les familles d’un certain nombre de dirigeants talibans de haut rang résident en Iran », a récemment affirmé Asif Nang, le gouverneur de la province de Farah. « Ils vivent dans des villes telles que Yazd, Kerman et Mashhad, et reviennent en Afghanistan pour des activités subversives », a-t-il ajouté. En outre, des députés afghans ont affirmé que Téhéran avait livré des « armes sophistiquées » au mouvement taleb. Ce que les dirigeants iraniens ont évidemment nié.

« Les rapports sur la présence d’éléments taliban en Iran est sans fondement », a ainsi déclaré Behram Qasemi, un porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères iranien, pour qui Téhéran entretient des « relations fraternelles » avec Kaboul, sur la base « d’intérêts mutuels ».

Reste que, si les taliban ont effectivement représenté une menace idéologique pour Téhéran, l’intervention américaine consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 a changé la donne. Ainsi, pour les dirigeants iraniens, soutenir le mouvement taleb devait permettre d’empêcher les États-Unis d’utiliser l’Afghanistan comme base arrière dans le cas d’une possible opération contre le programme nucléaire iranien.

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