Quelles conséquences aura l’élection de Donald Trump sur les affaires militaires?

trump-20160722Le politologue américain Allan Lichtman aura une nouvelle fois vu juste. En septembre, il avait annoncé la victoire de Donald Trump dans la course à la Maison Blanche, selon une méthode prédictive qui n’avait alors jamais été prise en défaut depuis 1984. Reste maintenant à voir les conséquences éventuelles de ce succès du candidant du Parti républicain sur les affaires militaires.

 

1- Les relations avec la Russie

La campagne électorale américaine a été parasitée par le piratage informatique du Parti démocrate. Pour James Clapper, le directeur national du renseignement, a dit croire, « sur la base du côté sensible et de la cible de ces actions, que seules les plus hautes autorités de l’État russe ont pu les autoriser. »

En clair, Moscou aurait cherché à favoriser M. Trump, lequel comptait alors, dans son équipe de campagne, plusieurs membres ayant des liens avec la Russie, comme Carter Page, proche du géant pétrolier Gazprom, Paul Manafort, ancien conseillers de l’ex-président ukrainien (et pro-russe) Viktor Ianoukovitch, ou encore Richard Burt.

Pour Michael Hayden, ancien directeur de la CIA et la NSA [National Security Agency, ndlr] sous l’administration de George W. Bush, le Kremlin considérerait M. Trump comme un « polezni durak » (un idiot utile) pour porter atteinte au modèle américain.

« C’est un homme très brillant, plein de talent sans aucun doute. Ce n’est pas à nous de juger de ses qualités mais c’est le favori incontesté de la course présidentielle », avait déclaré le président Poutine au sujet de Donald Trump, en décembre 2015. Et ce dernier ne s’était pas montré en reste en déclarant qu’il pourrait « probablement très bien s’entendre » avec le maître du Kremlin. Jusqu’à fermer les yeux sur le sort de la Crimée, et plus généralement, sur celui de l’Ukraine? Rien n’est moins sûr…

En 2001, alors fraîchement élu, Georges W. Bush, à qui l’on prêtait des intentions « isolationnistes » (on a vu ce qu’il en a été après le 11-Septembre), avait un a-priori favorable à l’égard de M. Poutine. « J’ai pu percevoir son âme : celle d’un homme profondément dévoué à son pays et aux intérêts de son pays », avait-il déclaré après une première rencontre entre les deux hommes à Ljubljana.

Puis, les relations entre les États-Unis et la Russie se dégradèrent au point que, en 2007, certains parlèrent (déjà) d’une nouvelle Guerre froide (d’ailleurs, c’est à partir de cette année-là que les vols des bombardiers stratégiques russes reprirent au-dessus de l’Atlantique-Nord). Aussi, quand il arriva à la Maison Blanche, le président Obama amorça une politique de « reset » avec Moscou, avec l’idée d’améliorer la coopération bilatérale sur des dossiers d’intérêts communs, comme l’Afghanistan, le terrorisme ou encore la prolifération nucléaire. Un nouveau traité de désarmement, le New Start, fut même signé. Seulement, ces bonnes intentions firent long feu, notamment à cause de l’affaire syrienne, de l’annexion de la Crimée et du bouclier anti-missile.

Alors, qu’en sera-t-il avec Donald Trump? Sur sa sympathie supposée envers le président russe, Dmitri Trenin, le directeur de l’Institut Carnegie à Moscou, s’est dit prudent dans les colonnes du Figaro. « Trump n’est pas le favori du Kremlin, Poutine ne le connaît pas, et, comme il est un homme sensé, il ne va pas soutenir un candidat aussi imprévisible », a-t-il estimé.

« Trump peut sembler enthousiaste, mais si la Russie fait un geste inamical, il peut changer totalement de position », a commenté, dans un entretien donné à Ouest France, Kurt Volker, un diplomate américain membre du du McCain Institute for international leadership.

Cela étant, les pommes de discorde entre Washington et Moscou ne vont pas disparaître comme par enchantement. Dans son programme, Donald Trump souhaite ainsi « investir dans un système de défense antimissile (…) pour contrer la menace des missiles balistiques iraniens et nord-coréens ». Ce que M. Poutine ne devrait pas apprécier… En outre, le futur locataire de la Maison Blanche, qui avait pour slogan de campagne « America First », ne devrait pas sacrifier les intérêts américains pour faire plaisir au Kremlin.

 

2- Quid de l’Otan?

La relation qu’entretiendra l’administration Trump avec le gouvernement russe inquiéte les anciens pays du Pacte de Varsovie, désormais intégrés à l’Otan et à l’Union européenne, dans la mesure où ils redoutent un désengagement américain du Vieux Continent, et donc de ne plus bénéficier du « parapluie » militaire des États-Unis.

Durant la campagne électorale, M. Trump a multiplié les critiques contre l’Otan. En juillet, il avait laissé entendre que, lui président, il déciderait d’engager les forces américaines auprès des pays baltes en cas d’agression russe seulement après avoir vérifié que ces derniers « ont bien respecté leurs obligations vis-à-vis de nous. » En clair, sous sa présidence, le principe de défense collective (article 5) de l’Alliance atlantique n’irait pas de soi.

« Je préférerais pouvoir continuer à respecter les alliances passées, mais pour cela, les alliés doivent cesser de profiter des largesses des Etats-Unis, que ceux-ci ne peuvent plus se permettre », avait encore affirmé M. Trump. Et cela vaut aussi pour le Japon et la Corée du Sud…

Pour le politologue Walid Phares, un conseiller de Donald Trump, il ne faudrait pas prendre les « slogans simplistes » lancés par le désormais futur président des États-Unis « au pied de la lettre ». Et d’assurer, dans les colonnes du Figaro : « C’est vrai aussi, sur la relation avec les alliés de l’Otan. (…) S’il gagne, Trump sera un pragmatique. »

 

3- Quelle stratégie américaine pour la guerre contre les organisations jihadistes?

Dans son programme, Donald Trump parle essentiellement des opérations menées contre l’État islamique (EI ou Daesh) en Irak et en Syrie. En septembre, il avait dit qu’il donnerait « 30 jours » au Pentagone pour « vaincre et détruire » cette organisation terroriste, en affirmant son intention de mener une « guerre classique, mais aussi une guerre sur internet, une guerre financière et une guerre idéologique. »

Mais il avait aussi affirmé qu’il disposait déjà d’un plan « secret » pour vaincre l’EI. « J’ai un super plan. Ca va être super. Tout le monde demande : ‘qu’est-ce que c’est ?’ Et bien, je regrette de ne pouvoir le dire. Je serai imprévisible. Je ne veux pas être comme Barack Obama qui a annoncé il y a quelques mois qu’il allait envoyer 50 soldats en Irak et en Syrie. Pourquoi annoncer cela ? Pourquoi dire à l’ennemi que nous envoyons des gens là-bas et qu’il puisse nous prendre pour cible », avait-il dit lors d’un débat avec Hillary Clinton. En outre, il s’était aussi favorable à laisser plus de latitude à la Russie en Syrie.

Si on s’en tient à son programme, et non à ses déclarations qu’il ne faudrait donc pas prendre « au pied de la lettre », comme l’a assuré Walid Phares, la stratégie actuellement menée contre Daesh ne devrait pas connaître de grands bouleversements. Il y est en effet souligné la nécessité de « poursuivre les opérations militaires conjointes au sein de la coalition pour écraser l’EI », de miser sur la « coopération internationale pour couper ses financements », d’élargir « le partage de renseignements » et d’accentuer la « cyberguerre pour perturber et désactiver sa propagande et son recrutement. »

Mais rien n’est dit sur l’Afghanistan, si ce n’est que M. Trump estime qu’il faut mettre un terme à la politique de « Nation building » (reconstruction de la nation), comme celle mise en place à Kaboul depuis 2002. Il est vrai que les résultats, au vu des investissements consentis, ne sont pas toujours à la hauteur (et c’est un euphémisme)…

Le programme de M. Trump ne parle pas non plus du Yémen et de la Libye, où les forces américaines ont effectué plusieurs frappes pour neutraliser des chefs jihadistes de l’EI ou d’al-Qaïda. En outre, étant donné que, selon lui, il ne faudra plus compter sur les largesses américaines, on peut s’inquiéter du soutien de Washington à l’opération française Barkhane, laquelle bénéficie de capacités de ravitaillement en vol et de transport aérien offertes par l’US Air Force. La question se pose aussi dans le domaine du renseignement. Pour rappel, l’administration Obama a financé ce soutien à hauteur de 10 millions de dollars par an.

 

4- Vers une remise en cause de l’accord sur le nucléaire iranien?

En signant, le 14 juillet 2015, à Vienne, un accord avec le groupe dit 5+1 (les 5 membres du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne), l’Iran a renoncé, du moins pour un temps, à toute ambition dans le domaine du nucléaire militaire.

Sur ce point, Donald Trump a soufflé le chaud et le froid. En août 2015, il avait assuré qu’il ne reviendrait pas sur cet accord tout en l’estimant « mauvais ». « L’Iran va devenir incroyablement puissant et riche et Israël a un gros problème », avait-il expliqué. Et d’ajouter : « Ils [les Iraniens] seront une nation tellement riche, une nation tellement puissante qu’ils auront l’arme nucléaire. Ils vont prendre le contrôle de parties du monde dont on n’a pas idée et je pense que cela va mener à un holocauste nucléaire. »

Puis, en juillet dernier, Guido George Lombardi, un proche de M. Trump, a indiqué que, en cas de victoire, l’accord nucléaire iranien serait « renégocié dans des circonstances et des paramètres différents ». Et d’insister : « Ceci est un fait certain à 100%. »

Cependant, cet accord a été conclu dans le cadre d’une négociation impliquant plusieurs acteurs avant d’être entériné non seulement par le Congrès américain mais aussi (et surtout) par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Comment M. Trump s’y prendra-t-il pour le discuter à nouveau?

 

5- Vers une hausse significative du budget des forces armées américaines?

Au cours des huit années de la présidence Obama, le budget militaire américain est resté, en valeur absolue, le plus important du monde, avec un montant annuel avoisinant les 600 milliards de dollars. Seulement, cela n’a pas empêché les forces américaines de subir des contraintes budgétaires en raison de la mise sous séquestre des dépenses de l’État fédéral, d’ailleurs voulue par les élus républicains du Congrès.

Aussi, par exemple, l’US Army a perdu 21% de ses effectifs depuis 2012 tandis que l’US Navy n’est en mesure d’aligner que 272 navires sur les 308 prévus et que le format de l’US Air Force a été réduit à celui qu’elle avait en 1947, avec des appareils âgés en moyenne de 25 ans.

Dans son programme, Donald Trump a fixé des objectifs ambitieux, sans pour autant donner les mesures qu’il entendait prendre pour les atteindre. Ainsi, l’US Army verrait ses effectifs remonter à 540.000 soldats et l’US Marines Corps compterait « 36 bataillons ». Quant à la marine américaine, l’objectif serait de la doter de 350 navires. Enfin, l’US Air Force pourrait compter sur 1.200 avions de chasse.

En outre, selon Jeff Sessions et Randy Forbes, deux conseillers pour les affaires militaires de M. Trump, il ne serait pas question de remettre en cause la modernisation de l’arsenal nucléaire américain, laquelle passe notamment par de nouveaux bombardiers et autres sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE).

Sur ce point, M. Trump a fait preuve d’une inquiétante désinvolture, en ne s’interdisant pas la possibilité d’utiliser l’arme nucléaire…. « Je n’exclus rien, a-t-dit. L’EI frappe et vous ne vous défendriez pas avec des armes nucléaires? Alors pourquoi on en construit? », avait-il affirmé en août, sur la chaîne CNBC.

Quoi qu’il en soit, ce programme de « réarmement », si l’on peut dire, est assez vague et il exigera des financements très importants. En effet, il ne suffit pas vouloir augmenter le nombre de navires de guerre : il faut aussi prévoir leur soutien, les infrastructures pour les recevoir et le personnels pour les mettre en oeuvre.

Toutefois, afin de financer ces mesures, le Pentagone peut s’attendre à quelques changements dans sa gouvernance et sa manière de gérer les programmes d’armement étant donné que M. Trump a promis d’y réduire « la bureaucratie » et de faire le ménage dans les contrats avec l’industrie américaine de la défense. Le président Obama avait pris le même engagement en 2008, ce qui avait abouti à la fin de la production des avions F-22 Raptor.

Cependant, cette dernière n’a fondamentalement pas trop d’inquiétude à avoir dans la mesure où il est peu probable que les grands programmes en cours soient remis en cause, non seulement en raison de leur nécessité (avion-ravitailleurs KC-46 par exemple) mais aussi parce qu’ils sont désormais trop avancés pour être annulés. Et cela, même si Donald Trump a l’avion F-35 dans le collimateur.

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