Pluie de critiques sur les bases de défense et le « Balardgone »
La réforme du ministère de la Défense engagée en 2008 prévoyait la disparition de dizaines d’emprises militaires et la suppression de 54.000 postes. Deux mesures emblématiques furent mises en application pour accompagner ce mouvement : le regroupement sur un site unique des états-majors et des service à Balard, dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) et l’instauration des bases de défense afin de « mutualiser » le soutien apporté aux unités, ce qui marquait une rupture avec la règle « un chef, une mission, des moyens ».
Seulement, et le Haut comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) n’a cessé de le souligner, cette réforme a conduit à une dégradation du soutien administratif des militaires, alors que c’était l’un des points forts des armées jusqu’à présent.
Pourtant, une nouvelle réforme des soutiens fut lancée par l’actuel ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avec l’idée de placer les bases de défense sous l’autorité du Service de commissariat des armées (SCA). Mais là encore, en 2015, le HCECM s’était montré dubitatif quant aux résultats à espérer…
Et lors de leur audition par les députés de la commission de la Défense, les représentants des syndicats personnels civils de la défense ont exprimé leurs doléances à l’égard de ces bases de défense, qui, visiblement, sont encore loin de faire l’unanimité.
« Les bases de défense n’ont pas été créées pour améliorer le fonctionnement de notre défense, mais uniquement pour économiser 54.000 postes », a commencé par accuser Gilles Goulm, secrétaire général de FO Défense. « Nous essayons, militaires et civils ensemble, malgré nos différences, de les faire fonctionner » et « parfois, nous nous trouvons comme une poule devant un canif! », a-t-il ajouté.
Pour ce responsable syndical, la source des difficultés, pour l’essentielle, viennent du fait qu’un « principe qui faisait la force du ministère de la Défense a été battu en brèche ». Et ce principe est : « qui commande paye et qui paye commande ». « Aujourd’hui, bien malin qui est capable de trouver, au sein d’une base de défense, qui est responsable de quoi », a expliqué M. Goulm, qui a également fait part de problèmes liés aux ressources humaines (RH).
« La fonction RH de proximité a été mise à terre ; parfois, nous avons tout simplement perdu l’expertise en la matière, particulièrement pour les personnels civils. Or, la gestion des personnels civils par un centre de décision qui se trouve à 150 km, cela n’est pas possible », a-t-il fait valoir.
« S’agissant des bases de défense, c’est en effet la partie RH qui souffre le plus. Or elle est essentielle pour les personnels civils », a confirmé Hervé Baylac, secrétaire général de la FNTE-CGT. « En déplacement à Toulon, j’ai vu des salariées de 55 ans qui pleuraient parce qu’elles n’étaient pas sûres, en raison du manque d’effectifs, de pouvoir assurer les payes des personnels civils… Aujourd’hui, tout repose sur la conscience professionnelle des agents du ministère », a-t-il ajouté.
Même son de cloche chez Jérôme Supersac, secrétaire général de la CFTC Défense. « Le problème dans les GSBdD [Groupement de soutien de base de défense, ndlr], c’est aujourd’hui que les services du personnel sont souvent dirigés par des personnels militaires, qui ne connaissent rien à la RH civile. Nous étions pour notre part favorables à la reprise des antennes de proximité par la DRH-MD ; un autre choix a été fait. Il est parfois difficile de recruter des personnels de catégorie A pour exercer les métiers difficiles des ressources humaines », a-t-il avancé.
Pour Sophie Morin, secrétaire générale de la CFDT Défense, la situation actuelle des bases de défense est le « résultat manque total de dialogue social au sein du ministère. » Et d’ajouter : « Il est inévitable qu’en mutualisant, on perde des compétences. Nous en revenons toujours aux mêmes thèmes : le caractère central des compétences; l’absence quasi-totale de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans ce ministère. Cela devient pourtant vital : il suffit de jeter un œil à la pyramide des âges, dans toutes les catégories de personnel, pour constater que l’on va droit dans le mur! ».
La complexité induite par la création de ces bases de défense a été soulignée par quasiment tous les responsables syndicaux entendus par les députés. « Il est vraiment compliqué de comprendre qui est responsable de quoi », a lancé Gilles Goulm. « Bien malin qui sait où trouver la bonne réponse et le bon interlocuteur : le fonctionnement actuel du ministère est d’une complexité sans nom », a enchéri Laurent Tintignac, secrétaire général adjoint de l’UNSA Défense.
« La création des bases de défense a en effet fait disparaître les circuits courts. Il y a aussi un problème de double casquette : les commandants des bases de défense sont aussi chefs d’organisme, donc à la fois juge et arbitre pour toutes les affaires financières », a tenu à souligner M. Supersac.
Même chose pour Jean-François Munoz, vice-président de Défense CGC. « Les bases de défense (…) sont nées de manière très autoritaire et elles ont connu de grands problèmes de gouvernance. Jamais elles n’ont disposé d’assez de temps pour mettre en place les procédures nécessaires. Il est impossible de comprendre comment elles fonctionnent. Quant au financement, il n’a jamais été mis en place », a-t-il dit.
Mais M. Munoz a résumé le mieux la situation en citant les propos qu’aurait tenus le général Iralour au nouveau commandant de la GSBdD de Bourges-Avord : « Cher ami, vous avez moins d’effectifs, moins d’argent et plus d’emmerdes : bon courage! ».
Quant au « Balardgone », inauguré en novembre 2015, plusieurs responsables syndicaux ont fait part de problèmes récurrents. Pour rappel, le ministère de la Défense s’est engagé à verser une redevance de 154 millions d’euros pendant 27 ans au groupement Opale Défense, qui, emmené par Bouygues, a été chargé de construire le site (coût du chantier : 600 millions d’euros) et d’apporter des services annexes (entretien, restauration, gestion du parc informatique, etc…). Et chaque prestation est facturée…
L’an passé, l’on avait appris qu’il en coûtait 600 euros pour rectifier la pose d’une porte, 150 euros pour ajouter une prise électrique, 5.000 euros pour installer un téléviseur dans un bureau ou bien encore 13.613 euros pour mettre en place une imprimante et un scanner. Là, à en croire Patrick Pradier, président de la CFTC Défense, qui travaille tous les jours à Balard, le changement d’un code d’accès est facturé… 80 euros. « C’est inadmissible! », s’est-il insurgé.
« Si vous n’avez pas exactement le bon badge, vous mettez un temps fou pour entrer. Et en fauteuil roulant, vous n’entrez pas du tout! », a déploré Gilles Goulm. « Les coûts sont exorbitants et devraient à notre sens faire réfléchir sur les partenariats public-privé : je ne vois d’ailleurs pas comment le public et le privé peuvent être partenaires. Je ne vilipende personne, mais l’objectif du secteur privé est bien de faire de l’argent », a-t-il estimé, avant de donner rendez-vous dans 26 ans. « Nous nourrissons des doutes sur la qualité de ce qui a été construit, et j’ai bien peur que l’on ne nous rende un bâtiment à refaire », a-t-il dit.