Les défis de la bataille de Mossoul

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Annoncée depuis des semaines, longuement préparée avec l’envoi de renforts par la coalition anti-État islamique (EI ou Daesh), avec notamment l’arrivée de 600 militaires américains supplémentaires, rejoints par 4 CAESAR (Camions équipés d’un système d’artillerie) français et le groupe aéronaval constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle, la seconde phase de la bataille de Mossoul – c’est à dire l’assaut de la ville – a enfin commencé ce 17 octobre. Et les défis sont nombreux.

1- L’EI a eu le temps de préparer ses défenses

Dans un article récemment publié par le Combating Terrorism Center de l’académie militaire de West Point, il était expliqué la façon dont les rebelles tchétchènes organisèrent la défense de Grozny face aux troupes russes, en 2000, en creusant des tranchées et en utilisant « un système complexe » de tunnels, organisés selon plusieurs lignes défensives.

Or, certains de ces combattants, habitués aux rapports de force défavorables, sont présents dans les rangs de l’EI. Et ils ont donc eu tout le temps nécessaire de préparer la défense de Mossoul. En outre, il faut s’attendre à une progression des forces irakiennes rendue compliquée par les mines et autres engins explosifs improvisés sur posés par les jihadistes sur les axes routiers.

Qui plus est, l’EI utilisera certainement les civils comme boucliers humains et placera des tireurs d’élite aux endroits stratégiques. Ce qui compliquera les frappes aériennes.

Enfin, les jihadistes – leurs effectifs sont estimés entre 3.000 et 9.000 – seront déterminés : pour eux, Mossoul tient une place importante : c’est depuis cette ville que leur chef, al-Baghdadi, a proclamé le « califat ».

2- L’EI pourrait utiliser des armes chimiques

Les jihadistes de l’EI ont déjà eu recours à des agents chimiques – chlore et gaz moutarde – par le passé. Fin septembre, le Pentagone a fait part de ses craintes à ce sujet.

« Nous pouvons nous attendre à ce qu’au fur et à mesure que l’offensive sur Mossoul progresse, l’EI va encore essayer d’utiliser des munitions à l’agent moutarde », avait en effet déclaré le capitaine de vaisseau Jeff Davis, un porte-parole du département américain de la Défense.

Cependant, si la menace est réelle, il ne faut pas non plus la surestimer. Les munitions au gaz moutarde utilisés par l’EI seraient en effet « rudimentaires » et « militairement non significatives », selon le porte-parole du Pentagone. L’agent chimique qui leur est associé « n’a généralement pas une concentration mortelle » et il est « plus irritant qu’autre chose », avait-il ajouté.

3- L’implication de la Turquie dans la bataille

La question de la présence militaire turque sur la base de Bashiqa, près de Mossoul, a ravivé les tensions entre Bagdad et Ankara. Et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, l’a encore affirmé ce 17 octobre : il est « hors de question » que son pays soit tenu à l’écart de l’offensive en cours.

« Nous ferons partie de l’opération, nous serons à la table. Il est hors de question que nous restions en dehors », a en effet déclaré M. Erdogan.

Pour Ankara, qui a rappelé ses « droits historiques » sur Mossoul [ancienne ville de l’Empire Ottoman, ndlr], il importe que la ville soit libérée par des musulmans sunnites. Aussi l’opération en cours devrait « être menée uniquement par ceux qui ont des liens ethniques et religieux avec la ville, et non pas par les milices chiites ou rebelles kurdes du YPG », fit valoir M. Erdogan.

Une autre raison de l’implication turque dans cette affaire est le risque de voir arriver en Turquie un nouveau flux de réfugiés, qui serait, croit-on à Ankara, d’autant plus important si les combats impliquent des miliciens chiites et des Kurdes.

4- De lourdes conséquences humanitaires à gérer

Deuxième ville d’Irak, Mossoul abriterait encore 1,5 million d’habitants. Aussi, le combat urbain qui s’annonce pourrait provoquer un exode de 600.000 civils selon les estimations (basses) des Nations unies.

« Nous faisons tout notre possible pour que toutes les mesures soient prises dans le cas du pire scénario humanitaire. Mais nous craignons qu’il y ait encore beaucoup à faire », explique Lise Grande, coordinatrice humanitaire de l’ONU pour l’Irak. « Dans le pire des cas, nous allons littéralement vers la plus grande opération humanitaire dans le monde en 2016 », a-t-elle ajouté. D’autant plus que, selon elle, « il existe une règle informelle selon laquelle aucune institution ne peut faire face à un mouvement de population de plus de 150.000 personnes à la fois. »

Qui plus est, le financement de l’opération humanitaire planifiée pour venir en aide aux civils ayant pu fuir Mossoul n’est pas totalement assuré : il manque la moitié des 334 millions d’euros promis par les bailleurs de fonds.

5- Une difficile coordination entre les différents acteurs

C’est autre défi de taille : arriver à ce que toutes les forces engagées dans la reconquête de Mossoul puissent travailler ensemble, c’est à dire à se coordonner. Entre la coalition internationale, qui agit dans les airs et sur terre, avec des appuis d’artillerie, il faut évidemment compter les forces régulières irakiennes, les unités antiterroristes (ICTS), les Peshmergas (combattant kurdes), les tribus sunnites et les milices chiites des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi), dont certaines prennent leurs ordres à Téhéran.

Récemment, des informations erronées communiquées à la coalition internationale ont donné lieu à une « bavure, une vingtaine de combattants d’une tribu sunnite ayant été visés, par erreur, par une frappe aérienne.

En outre, la présence des milices chiites n’est pas du goût de tout le monde, ces dernières ayant été accusées d’avoir commis des exactions sur les civils sunnites après la reconquête de plusieurs villes alors contrôlées par l’EI (Tikrit, Falloujah, etc…). Cela étant, le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, a précisé que seules les forces régulières entreraient dans Mossoul.

6- La reprise de Mossoul est nécessaire, mais pas suffisante

Si l’EI perd Mossoul, il ne sera pas pour autant vaincu. Si le gouvernement irakien estime que sa tâche sera accomplie (c’est à dire reprendre les territoires qu’il avait perdus), il lui faudra trouver une solution politique satisfaisante pour éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets.

Pour la coalition, le travail sera encore loin d’être terminé : le prochain objectif sera le second bastion de l’EI, c’est à dire Raqqa, en Syrie. C’est de là que furent planifiés les attentats perpétrés en Europe et aux États-Unis au cours de ces derniers mois.

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