Le contre-amiral Jean Cras, l’artiste des mers

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« Il n’y a que trois métiers pour un homme : roi, poète et capitaine », dit Jean Richau (Bruno Cremer) dans le film « Objectif 500 millions« , du regretté Pierre Schoendoerffer. En quelque sorte, le contre-amiral Jean Cras en aura exercé deux puisqu’il commanda des navires de guerre tout en composant de nombreuses oeuvres musicales. Et autant dire que ce n’est pas une chose aisée : le russe Nikolaï Rimski-Korsakov et le français Albert Roussel s’y essayèrent avant d’abandonner leur carrière d’officier de marine pour se consacrer pleinement à la musique.

Jean Émile Paul Cras est né le 22 mai 1879 à Brest, où son père était médecin en chef de la marine. Cet environnement n’a pu alors que favoriser sa vocation de marin. Mais il se passionne aussi très tôt pour la musique, grâce à l’influence de ses parents mélomanes. Il apprend à jouer du piano et s’essaie au violon.

Á 13 ans, et déjà excellent pianiste, Jean Cras compose ses premières oeuvres. Deux ans plus tard, il donne, sous sa direction, une messe à quatre voix avec piano et harmonium dans la petite église Saint-Marc, près de Brest.

Élève doué, Jean Cras est admis à l’École navale, sur le ponton école Borda, alors qu’il vient d’avoir 17 ans. En 1898, il en sort quatrième de sa promotion (sur 70 « bordaches »), avec cette appréciation du commandant de l’école : « Très intelligent et très capable; Fera un très bon officier ». Le jeune homme ne décevra pas les espérances placées en lui…

Par la suite, Jean Cras embarque à bord de l’Iphigénie, un croiseur, pour une campagne dans l’océan Atlantique. Il découvre l’Amérique, les Antilles et le Sénégal. Et il occupe son temps libre à composer plusieurs pièces pour musique de chambre, dont une appelée « Voyage symbolique ». Le jeune officier enchaîne les embarquements. De l’Islande (à bord de l’aviso « Manche ») à la Méditerranée (cuirassés « Brennus » et « Saint-Louis », il « voit du pays », comme on dit. Et cela nourrit sans doute sans inspiration et son inventivité…

Toujours très bien noté par ses supérieurs, et alors qu’il est affecté à bord du contre-torpilleur Cassini, il met au point un combinateur de signaux permettant la transmission de signaux électriques entre navires.

En septembre 1908, Jean Cras, promu lieutenant de vaisseau, est affecté en tant que professeur d’achitecture navale à la « Baille » (*). Entretemps, il s’est marié avec Isaurette Paulette, une excellente musicienne et il a rencontré le compositeur Henri Duparc, qui verra en lui un des « fils spirituels », allant même jusqu’à l’appeler « le fils de mon âme ».

À Navale, il met à profit son temps libre non seulement pour composer mais aussi pour innover : afin de faciliter la lecture des cartes marine et donc, la navigation, il invente un double rapporteur transparent – la règle Cras – qui est encore largement utilisée de nos jours.

En 1910, Jean Cras commande un groupe de torpilleurs à Brest, avant de rejoindre la Iere armée navale deux ans plus tard. Breveté d’état-major en 1914, il devient l’aide de camp de l’amiral Boué de Lapeyrère, qui voit en lui un « officier de premier ordre ».

Au début de la Grande Guerre, Jean Cras s’intéresse à la guerre sous-marine. Et, en 1916, il prend le commandement du contre-torpilleur « Commandant Bory », qui sera surtout engagé dans les opérations menés en Adriatique. Et il y fait embarquer un piano (ce sera le cas sur tous les navires où il sera affecté). Là, il compose Polyphème, un drame lyrique qui sera représenté à l’Opéra-Comique le 22 décembre 1922.

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Mais sa priorité reste la conduite de non navire. Et Jean Cras va s’illustrer à plusieurs reprises, ce qui lui vaudra cette citation : « Magnifique exemple d’ardeur et d’entrain, commande son bâtiment de la façon la plus brillante; S’est distingué à maintes reprises dans des combats contre les sous-marins, notamment le 8 mai 1917 où, selon toute probabilité, il a causé la perte de son adversaire. » En outre, il a sauvé un de ses matelots de la noyade après une explosion…

En 1918, Pierre Cras, promu capitaine de corvette, prend le commandement de la 1ère escadrille de patrouille en Manche avant de diriger le secrétariat du chef d’état-major général au ministère de la Marine. Un an plus tard, il obtient ses galons de capitaine de frégate.

En 1921, il retrouve la mer en prenant le commandement du torpilleur « Amiral-Sènes » puis il devient auditeur au Centre des Hautes Études navales. En 1924, il est l’un des plus jeunes capitaines de vaisseau de la Marine.

Parallèlement, son activité artistique ne faiblit pas : il compose, notamment, L’Offrande Lyrique, pour voix et orchestre (1921), Âmes d’enfants (1922), Fontaines, pour voix et orchestre (1923), Dans la montagne (1925), Hymne en l’honneur d’une sainte (1925), Journal de bord (1927), une suite symphonique en trois parties. À bord du cuirassé « Provence », il met une dernière touche à son « Quintette ».

Au tournant des années 1930, Jean Cras est promu contre-amiral et il occupe les fonctions de major général de l’arsenal militaire du port de Brest. Malheureusement, il ne pourra pas continuer son oeuvre : il s’éteint le 14 septembre 1932, emporté par une maladie foudroyante.

« Nous avons été, nous aussi, bien douloureusement surpris en apprenant la mort de Jean Cras que nous ne savions pas malade. Le pauvre garçon a dû abuser de ses forces en menant de front deux carrières aussi absorbantes que la marine et la musique. Il disparaît au moment où il arrivait au but de ses efforts ! – Quelle tristesse pour tous les siens », écrira Jean Roussel au critique littéraire et musicographe René Dumesnil.

Excellent marin et musicien, inventeur, compositeur reconnu à son époque, le contre-amiral Jean Cras était un homme droit et modeste, à la personnalité attachante. Dommage que ce « Pierre Loti » de la musique ait été oublié de nos jours…

(*) Surnom de l’École navale

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