Centenaire/Verdun : Non, la guerre n’est pas un spectacle

Qu’est-ce qu’un haut-lieu? Dans son livre « Berezina« , l’écrivain et aventurier Sylvain Tesson en donne une définition que son ami Cédric Gras lui confia alors qu’ils marchaient sur les traces de la Grande Armée de Napoléon Ier en Russie.

« Un haut lieu, c’est un arpent de géographie fécondé par les larmes de l’Histoire, un morceau de territoire sacralisé par une geste, maudit par une tragédie (…). Tu te tiens devant et, soudain, tu éprouves une présence, un surgissement, la manifestation d’un je-ne-sais-quoi. C’est l’écho de l’Histoire, le rayonnement fossile d’un événement qui sourd le sol, comme une une onde. Ici [le passage de la Bérézina emprunté par la Grande Armée, ndlr], il y a eu une telle tragédie en un si court épisode de temps que la géographie ne s’en est pas remise. Les arbres ont repoussé mais la Terre, elle continue à souffrir. Quand elle boit trop de sang, elle devient un haut lieu. Alors, il faut la regarder en silence car les fantômes la hantent ».

Est-ce que l’ossuaire de Douaumont est un haut lieu, avec ses milliers de croix alignés, sous lesquelles reposent 130.000 combattants de la Bataille de Verdun? Assurément.

Et pourtant, le 29 mai, jour de la commémoration officielle du centenaire de cette tragédie, l’on a eu droit à une « scénographie » du réalisateur Volker Schlöndorff, auteur du film « Le Tambour ». Pourquoi pas après tout?

Mais le cinéaste allemand semble aimer tellement les tambours qu’il a fait venir ceux du Bronx pour rythmer un hallucinant déferlement de jeunes gens, que l’on a vu courir entre et sur les tombes de ceux qui reposaient « en paix » depuis cent ans. Et cela avant de mimer des combats, s’écrouler lentement devant la tribune officielle pour faire les morts et se relever avant de scander « nous les jeunes, wir sind da, on reste ».

Un spectacle dans un cimetière… fallait oser. Et personne ne s’est dit, à moment, que cela pouvait paraître déplacé et qu’il fallait au contraire regarder cette terre meutrie en silence car « les fantômes la hantent ». En 1992, lors de la commémoration (mouvementée) officielle de la rafle du Vel d’Hiv, Robert Badinter n’avait-il pas rappelé qu’il « est dit dans la Parole que les morts vous écoutent. » Certes, le contexte était radicalement différent… Mais il y a des principes avec lesquels on ne transige pas.

L’explication de cette mise en scène a été donnée par Marie Drucker, qui commentait l’événement : l’idée était donc de « faire débarquer des jeunes qui n’ont pas trop de conscience historique, finalement, sur la nécropole, comme une génération entière qui déferle sur le champ de bataille ».

Pourtant, un poil plus âgés que les jeunes qui ont « déferlé » entre les tombes, les élèves de la 310e promotion « Sous-officiers de Verdun » de l’Ecole Nationale des Sous-Officiers d’Active (ENSOA) de Saint-Maixent, ont montré leur « conscience historique », deux semaines plut tôt. L’hommage qu’ils ont rendu à leurs anciens aura été d’une toute autre tenue. Mais sans doute n’est-il pas assez « télégénique »…

 

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