La Marine lance une procédure disciplinaire contre un ex-pacha d’une frégate, condamné en appel pour harcèlement moral

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Le 15 juin 2010, le second-maître Sébastien Wancké, 32 ans, mettait fin à ses jours à bord de la frégate La Fayette, qui revenait d’une mission dans l’océan Indien. Cet officier-marinier était le maître d’hôtel du commandant du navire, qui était alors le capitaine de vaisseau Éric Delepoulle.

Quelques jours avant de commettre l’irréparable, le second-maître Wancké, qui affichait alors 10 ans de service, avait reçu sa notation dans laquelle il lui était reproché un « manque d’investissement dans son travail ». L’enquête établira, plus tard, qu’il travaillait jusqu’à 15 heures par jour, effectuant même des tâches qui ne lui incombaient pas. Le juge d’instruction en charge du dossier qualifia le niveau d’exigence du pacha de la frégatde « d’excessif, voir abusif, au point de revêtir un véritable aspect vexatoire ».

Pour les parents de l’officier-marinier, il ne faisait aucun doute que le capitaine de vaisseau Delepoulle avait une responsabilité dans la mort de leur fils. D’où leur plainte pour harcèlement moral. D’ailleurs, l’enquête menée à l’époque par la gendarmerie maritime mit en avant un climat détestable à bord de la frégate La Fayette, des membres de l’équipage ayant décrit une « ambiance exécrable », avec des punitions qui tombaient comme à Gravelotte : 78 de juillet à décembre 2009 et 36 de janvier à mai 2010.

En novembre 2013, l’affaire fut jugée par le tribunal correctionnel de Marseille. Au cours de l’audience, le capitaine de vaisseau Delepoulle, en civil, expliqua que Sébastien Wancké s’était porté volontaire pour les tâches qui ne relevaient pas de son domaine et que sa notation avait été proposée par ses commandants adjoints. Quant à celles du reste de l’équipage, il fit valoir qu’elles avaient été faites en « fonction de directives spécififiques ».

Mais ces explications eurent du mal à convaincre, le procureur ayant requis à son encontre un an d’emprisonnement éventuellement assorti du sursis et 6.000 euros d’amende. Deux mois plus tard, le verdict tomba : l’ancien pacha de la frégate La Fayette était finalement condamné à un an de prison et 10.000 euros d’amende. Et la demande de dispense d’inscription au casier judiciaire faite par le prévenu fut rejetée.

Le capitaine de vaisseau Delepoulle fit donc appel. Et l’affaire fut à nouveau examinée en avril dernier par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence. À cette occasion, l’officier contesta toute responsabilité pour le suicide de son maître d’hôtel. « J’aurais dû revenir avec l’ensemble des marins qui m’étaient confiés mais je n’ai pas abusé de ma fonction de commandant et je n’ai pas harcelé Sébastien Wancke », affirma-t-il, cette fois sanglé dans son uniforme.

Seulement, Mme l’avocat général, Isabelle Pouey, évoqué là encore l’ambiance à bord de la frégate La Fayette quand elle était sous les ordres du capitaine de vaisseau Delepoulle (et qui, à l’époque, avait été surnommée le « bateau de l’enfer » par un officier du bord).

« Eric Delepoulle avait cette exigence d’une hôtellerie de luxe à bord. Cela a peu à peu miné Sébastien Wancké qui était aux premières loges, le plus exposé aux exigences du commandant », fit observé Mme l’avocat général. Ce que reconnut l’ancien pacha. « Oui je suis exigeant. Je me devais cette exigence pour garantir la sécurité des marins », plaida-t-il.

Finalement, le 23 mai, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé le verdict rendu plus de deux ans plus tôt. Le capitaine de vaisseau Delepoulle, actuellement affecté à l’état-major des armées, a donc été condamné à un an de prison avec sursis et à une amende de 10.000 euros pour harcèlement. Mais l’affaire ne va pas en rester là car les avocats de l’officier ont annoncé leur intention de se pouvoir en cassation.

« Des éléments juridiques qui n’ont pas été pris en compte vont être débattus en par la Cour de cassation », a en effet fait valoir l’un d’eux, Me Louis-Romain Riché.

De son côté, la Marine nationale a pris acte de ce verdict. Mais pas seulement car une procédure disciplinaire sera ouverte contre le capitaine de vaisseau Delepoulle.

« Depuis le début de l’enquête, la Marine nationale a pleinement collaboré avec l’autorité judiciaire, tout en respectant le principe de la présomption d’innocence », a-t-elle expliqué via un communiqué. Et d’ajouter : « Prenant connaissance de la condamnation prononcée, le chef d’état-major de la Marine a décidé – comme il l’avait annoncé dans une telle hypothèse – l’ouverture d’une procédure disciplinaire adaptée à cette décision de justice. »

« Les missions des bâtiments de la Marine nationale exigent à la fois discipline et esprit d’équipage, ce dernier étant un facteur de cohésion essentiel dans la Marine. Les pouvoirs conférés à l’encadrement, à tous les niveaux, notamment aux commandants de bâtiments, s’accompagnent d’un devoir de respect et de bienveillance envers les subordonnés. L’application scrupuleuse de ce principe essentiel est au cœur des préoccupations du chef d’état-major de la Marine », rappelle également le texte.

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