Le cadre juridique concernant l’emploi des militaires sur le territoire ne sera pas « bouleversé »

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Voici bientôt un an que l’opération intérieure (OPINT) Sentinelle a été lancée en réponse aux attentats commis à Paris en janvier 2015, avec 10.000 soldats déployés sur le territoire national afin de surveiller les sites dits sensibles.

Depuis, des questions sur la finalité de cette OPINT restent toujours posées, surtout après les attaques du 13 novembre dernier à Paris et à Saint-Denis. Et les militaires eux-mêmes s’interrogent, comme l’a fait remarquer le député Yves Fromion lors de l’audition, à l’Assemblée nationale, de Louis Gautier, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

« Qu’ont fait les militaires le 13 novembre? Où étaient-ils? La police a mis assez longtemps à intervenir. Les militaires eux-mêmes s’étonnent de ne pas avoir été sollicités, du moins dans un premier temps (…) C’est longtemps après qu’on les a vus apparaître, lors de l’opération menée à Saint-Denis, pour faire de la sécurisation. Aujourd’hui, ils se demandent à quoi ils servent vraiment. Quel est leur rôle lors d’un attentat ? Où est la coordination ? Ils ont le sentiment que leurs capacités ne sont pas utilisées au mieux. Ils se disent qu’ils seraient plus utiles s’ils gardaient les frontières, qu’ils y accompliraient mieux leur mission qu’en restant à Paris, le plus souvent statiques », a ainsi affirmé le député, rejoignant ainsi les interrogations de plusieurs de ses collègues.

En octobre dernier, le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées (CEMA), avait estimé qu’il ne fallait pas faire jouer aux militaires de Sentinelle un rôle de « supplétif » en matière de sécurité et que « plutôt que de suppléer les forces de sécurité, les armées devaient apporter des savoir-faire complémentaires. »

Et cela, au motif, comme il l’avait expliqué quelques semaines plus tôt, qu' »il y a un lien de plus en plus fort entre la défense de l’avant, ce que nous faisons en opérations extérieures, et la sécurité de l’arrière, c’est-à-dire la protection de nos concitoyens sur le théâtre national ». Seulement, il y un bémol à apporter : l’ennemi que les forces françaises affrontent au Sahel est traité comme un combattant tandis que le terroriste qui commet un attentat en France est considéré comme un criminel.

Cela étant, comme l’a rappelé Louis Gautier lors de son audition, recourir aux armées permet de « réagir aux situations d’urgence » et « aux circonstances exceptionnelles » car elles « constituent une ressource de forces, interviennent non en remplacement, mais en appui, en soutien, en parfaite complémentarité avec les forces de sécurité intérieure, notamment parce que leurs effectifs, leur organisation, leurs capacités, y compris du point de vue des équipements, procurent des ressources mobilisables dans l’urgence et parfaitement réactives ».

Qui plus est, a ajouté M. Gautier, « du point de vue de la gestion des ressources humaines, alors que le recrutement d’un policier ou d’un gendarme l’inscrit dans une carrière, celui d’un militaire du rang correspond à un contrat, qui pourra être renouvelé mais ne durera pas nécessairement ».

Pour résumer, l’idée est de pouvoir déployer des soldats pour sécuriser et protéger des secteurs définis pour qu’ils prennent le relai de la police et de la gendarmerie afin de « permettre à ces dernières de se réorienter vers leurs missions propres ». Et le tout, à un coût moindre que s’il fallait recruter davantage de gendarmes et de policiers.

Si ce n’est pas un rôle de supplétif, cela y ressemble car, en l’état actuel des choses, les militaires n’ont, par exemple, aucun pouvoir juridique de contrainte vis-à-vis des civils, c’est à dire qu’ils ne peuvent pas faire de contrôle d’identité ou de fouille en cas de doutes sur un individu. Pour cela, ils doivent être accompagnés par un agent ou un officier de police judiciaire.

Or, comme l’a indiqué M. Gautier, il n’est n’est nullement envisagé de modifier les règles juridiques concernant les militaires engagés sur le territoire national, si ce n’est à la marge.

« On a évoqué la possibilité d’instituer en agents ou officiers de police judiciaire (OPJ) les militaires, ou du moins certains officiers ou sous-officiers. Mais l’on a finalement estimé que si l’on définissait bien les missions, il n’était pas nécessaire de changer le droit. D’abord parce que des OPJ sont souvent présents sur le terrain au côté des militaires déployés. Ensuite parce qu’il existe toute une série d’actes – contrôle de foules, vérification d’identité – que l’on peut effectuer à droit constant, sans avoir besoin d’exciper d’un statut d’OPJ », a expliqué le SGDSN.

Aussi, au moment de l’Euro de football 2016, les « militaires ne pourront pas obliger un individu à prouver son identité, mais pourront refuser l’accès aux personnes qui refuseraient de le faire, ou les renvoyer vers un OPJ qui sera à proximité », a fait valoir M. Gautier.

Pour le député Charles de la Verpillière, il s’agit là d’une « erreur fondamentale ». « Nous sommes engagés dans des opérations très étendues dans l’espace et dans le temps ; il est donc exclu de faire accompagner chaque patrouille de militaires par des agents de police judiciaire, a fortiori par des OPJ. D’autant que la tendance est de substituer des méthodes dynamiques à l’utilisation statique de l’armée : comment embarquer des agents ou des officiers de police judiciaire dans des patrouilles aléatoires, le cas échéant à bord d’un véhicule? », a-t-il plaidé.

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