Vers la formation d’une coalition pour soutenir un éventuel gouvernement libyen d’union nationale?

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Lors de son dernier passage devant la commission sénatoriale des Affaires étrangères et des Forces armées, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, l’a encore répété : « La Libye est notre préoccupation constante depuis deux ans » car Daesh (État islamique ou EI) y « profite du désordre et de la partition du pays entre deux gouvernements ».

Les enjeux sécuritaires sont multiples en Libye. Outre l’implantation de l’EI, il ne faut pas non plus oublier la présence de groupes jihadistes liés à al-Qaïda, comme par exemple al-Mourabitoune, qui a trouvé refuge dans le sud du pays, après avoir été chassé du nord du Mali. Et puis il y a aussi l’épineux problème des migrants, lequel alimente tout un circuit économique.

Cela étant, fin novembre, des vols de reconnaissance effectués depuis le porte-avions Charles de Gaulle, alors déployé en Méditerranée orientale pour intervenir en Syrie, ont permis de confirmer la progression de l’EI en Libye.

« Implanté à Syrte au Nord, Daech étend son emprise vers le sud et les champs pétroliers, vers l’ouest et la Tunisie, dans les camps de Sabratha en particulier, et vers l’est notamment à Ajdablya, contrôlant désormais 250 kilomètres de côtes », a ainsi expliqué M. Le Drian aux sénateurs.

Aussi, a-t-il continué, « le risque est, d’une part, celui d’un transfert de combattants étrangers venant du Levant, d’autre part, celui du ralliement de groupes terroristes au sud, qui permettrait une jonction avec le nord du Niger et mettrait à profit les tensions entre Toubous et Touaregs ». Et d’insister : « Le danger est proche, Syrte étant à 350 kilomètres de l’île italienne de Lampedusa ».

Par ailleurs, M. Le Drian a fait part de fortes suspicions sur l’existence de liens entre le groupe jihadiste nigérian Boko Haram et l’EI. Même si « nous n’avons pas de preuves formelles, certains chefs d’États de la région affirment en détenir. N’oublions pas que le leader de Boko Haram a prêté allégeance à Daech il y a plus d’un an. Il pourrait avoir envoyé des combattants se former auprès de Daech à Syrte », a-t-il dit.

Alors, que faire? La commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale a récemment publié un rapport dans lequel ont été exprimées de fortes réserves sur une éventuelle intervention militaire en Libye. Et cela pour plusieurs raisons : la difficulté d’obtenir le feu vert du Conseil de sécurité des Nations unies, le nécessaire engagement de forces terrestres, la réaction des pays voisins, susceptibles d’être exposés à des représailles, et le risque de pousser à la radicalisation certains éléments de la milice islamiste Fajr Libya.

Aussi, ce rapport a estimé que la seule solution possible ne pouvait qu’être politique. D’ailleurs, le 14 décembre, sur les ondes de RTL, M. Le Drian n’a pas dit autre chose. Les Libyens ont « eux-mêmes les moyens militaires entre eux pour enrayer la progression de Daesh donc il faut qu’ils s’unissent politiquement », a-t-il même affirmé.

Des efforts pour réconcilier les deux gouvernements rivaux libyens (l’un étant établi à Tripoli, l’autre, reconnu par la communauté internationale, s’était replié à Tobrouk), sont actuellement menés sous l’égide de Martin Kobler, l’émissaire des Nations unies pour la Libye.

Le 14 décembre, un accord a pu être ainsi trouvé au Maroc entre les représentants des deux parties afin de former un gouvernement d’union nationale, qui s’installerait à Tripoli. Cependant, il serait imprudent de se réjouir trop vite. Les présidents des deux Parlements rivaux ont rejetté le texte tandis que les milices, dont Fajr Libya, restent muettes.

En outre, si, comme l’indique RFI, 24 villes libyennes ont dit soutenir l’accord de l’ONU, il manque la principale, c’est à dire Tripoli. « Jusqu’ici, les maîtres » de la capitale « refusent de se joindre au processus », affirme la radio.

« On ne peut cependant exclure le risque qu’apparaisse un troisième gouvernement d’union nationale, constitué de tous ceux qui auront bien voulu le rejoindre, alors que demeureraient les deux autres gouvernements, constitués de ceux qui auraient refusé d’y participer », a résumé M. Le Drian, lors de son audition au Sénat.

Mais même si une solution politique est trouvée en Libye, il restera à répondre à plusieurs questions, comme la sécurisation du gouvernement d’union nationale, le désarmement des milices et le contrôle des ressources pétrolières, convoitées par l’EI. En tout cas, une telle issue permettrait d’intervenir dans les eaux territoriales libyennes et de passer ainsi à la phase 3 de l’opération navale Sophia, lancée par l’Union européenne afin de lutter contre les passeurs de migrants.

Dans son édition du 23 décembre, le quotidien Le Figaro, qui cite des sources du ministère de la Défense, parle d’une « autre hypothèse » ne pouvant « pas être exclue ». « Faute d’un accord politique entre Libyens, affirme-t-il, la France poursuivrait son travail pour mettre sur pied une coalition militaire », avec l’Italie et le Royaume-Uni, ainsi qu’avec un « soutien américain ».

Pour autant, sans résolution des Nations unies, une telle hypothèse est, du moins pour le moment, improbable. En revanche, l’idée d’une « coalition » pour appuyer un gouvernement libyen d’union nationale tiendrait plutôt la corde. C’est d’ailleurs la position de l’Italie, qui prendrait la direction d’une force internationale (commandée par le général Paolo Serra) dont le rôle se limiterait à former et à entraîner les troupes locales. Et c’est aussi celle du Royaume-Uni, qui s’est dit prêt à envoyer un contingent si Tripoli en fait la demande.

Quant aux forces françaises, déjà au taquet avec les opérations Barkhane, Daman (Liban), Chammal et Sentinelle, la participation à une telle coalition exigerait de faire des choix. « Si on me donne une mission supplémentaire, je demande les moyens correspondants ou bien j’en annule une autre », avait prévenu le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées, devant les députés de la commission de la Défense nationale, en novembre.

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