Vers le déploiement d’une force de l’Union africaine au Burundi?

burundi-20151217Cela fait maintenant plusieurs mois que d’une grave crise politique secoue le Burundi, petit État africain coincé entre le Rwanda, la Tanzanie et la République démocratique du Congo. Et les Nations unies évoquent un risque de guerre civile, voire de génocide.

Pour comprendre cette crise, il faut remonter à l’indépendance du Burundi, qui fut d’abord colonisé par l’Allemagne puis par la Belgique après la Première Guerre Mondiale. À partir de là, les deux éthnies du pays – les Tutsis (minoritaires) et les Hutus – n’ont cessé de se défier.

En avril 1972, l’Umugambwe w’Abakozi b’Uburundi (Parti des Travailleurs du Burundi), dominé par les Hutus, tente de prendre le pouvoir par la force en massacrant les Tutsis. Mais cette insurrection sera durement réprimée par les cadres de l’armée, majoritairement tutsis après des massacres commis 7 ans plus tôt et les civils hutus en paieront le prix fort. Environ 100.000 personnes sont alors tuées.

Par la suite, un conflit larvé entre les deux éthnies a duré jusque dans les années 1990. Après de nouveaux massacres, commis en 1988 (20.000 tués), le pays s’engage dans un processus de normalisation politique. En 1993, les premières élections libres depuis l’indépendance sont organisées. Et elles sont remportées par Melchior Ndadaye, un Hutu du Front pour la démocratie du Burundi (Frodebu).

Seulement, cette victoire n’est pas acceptée par les Tutsis. L’armée, constituée majoritairement de Tutsis, assassine le président Ndadaye en octobre 1993, ainsi que plusieurs membres du Frodebu.

À nouveau, les tensions éthniques réapparaissent. Des Hutus assassinent massivement des Tutsis. Et, en représaille, l’armée massacre des centaines de milliers de Hutus. Ces derniers vont former deux groupes rebelles : les Forces nationales de libération et les Forces de défense de la démocratie.

En janvier 1994, sous l’égide des Nations unies, un accord est trouvé : il partage le pouvoir entre le Hutu Cyprien Ntaryamira, qui devient président, et Tutsi Anatole Kanyenkiko, qui assure les fonctions de Premier ministre.

Seulement, cela ne durera pas : le 6 avril de cette année-là, Cyprien Ntaryamira perd la vie dans l’attentat contre Juvénal Habyarimama, le président rwandais. Et les Tutsis reprennent le pouvoir tandis que la rébellion s’exacerbe. Dans les rangs de cette dernière, on retrouve un certain Pierre Nkurunziza, qui va peu à peu s’affirmer au sein de la hiérarchie rebelle.

En août 2000, sous l’égide de Nelson Mandela, un accord de paix est signé par les deux parties à Arusha, en Tanzanie. Entré en vigueur en janvier 2001, il partage équitablement les pouvoirs entre les deux communautés et met le Burundi sur la voie d’une normalisation politique.

C’est ainsi que, en 2005, Pierre Nkurunziza, le chef du Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), devient président du Burundi. Réélu en 2010, il annonce alors son intention de briguer un troisième mandat, ce qui lui interdit l’article 7 des accords d’Arusha. Mais la Cour constitutionnelle passe outre – son vice-président, actuellement en fuite, ayant dénoncé « des pressions énormes et même des menaces de mort » – et valide sa candidature. Ce sera le point de départ de la crise politique actuelle.

En avril, des milliers de personnes manifestent contre la candidature de M. Nkurunziza tandis que d’autres choisissent de quitter le pays. Un mois plus tard, le général Godefroid Niyombare, récemment démis de ces fonctions de chef du renseignement et issu du CNDD-FDD, tente un coup d’État avant de rentrer rapidement dans le rang.

En juillet, alors que 160.000 Burundais ont fui leur pays, Pierre Nkurunziza est réélu avec 69,41% des suffrages exprimés, d’après les chiffres donnés par la Commission électorale nationale indépendante (Céni). Mais cela n’a évidemment pas mis fin à la crise politique… assortie de violences de plus en plus fréquentes, avec des attaques entre la police et l’armée d’un côté et, de l’autre, l’opposition.

Comme les deux camps jouent la carte des tensions interéthnique, le pire est donc à redouter. Et cela d’autant plus que des déclarations de certains responsables politiques sont de nature à mettre le feu aux poudres. Ainsi, Révérien Ndikuriyo, le président du Sénat, a appelé à « pulvériser » et à « exterminer » les quartiers contestataires de Bujumbura. Le ministre de la Sécurité publique,  Alain-Guillaume Bunyoni, n’a rien trouvé de mieux à dire que « si les forces de l’ordre échouent, on a 9 millions de citoyens à qui il suffit de dire ‘faites quelque chose' », sous-entendant ainsi que les Tutsis étaient minoritaires. Et cela, même si l’opposition compte aussi dans ses rangs des Hutus.

La semaine passée, après une attaque de trois camps miliaires par de jeunes insurgés, des centaines de personnes ont été tuées. Ou plutôt exécutées…

Devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, réuni en session extraordinaire le 17 décembre, Pierre Claver Mbonimpa, qui dirige une association de défense des droits de l’homme, a livré quelques chiffres. « Depuis le 26 avril, l’armée a assassiné 408 personnes, la police 301, le service national de renseignement 174 et huit autres ont été tuées par des civils », a-t-il énuméré.

Pour le Haut-commissaire aux Droits de l’homme, le prince Zeid Ra’ad Al Hussein, le Burundi n’est ni plus ni moins « au bord de la guerre civile. » Et d’en appeler la communauté international à réagir. Et vite.

Pour le moment, le Parlement européen a voté une résolution pour demander le déploiement d’une mission de maintien de la paix en cas « de détérioration de la situation sécuritaire au Burundi » ainsi qu’une « enquête pénale internationale sur les crimes commis » ces derniers mois.

« Non seulement, ce sont des assassinats aujourd’hui de Burundais, mais c’est aussi un embrasement qui risque de se passer dans la région : au Rwanda qui a vécu également un génocide, au Burundi qui a vécu une guerre civile en 2005 et au Congo qui a de grosses difficultés dans la région », a expliqué, rapporte RFI, l’eurodéputée belge Maria Arena.

C’est donc dans ce contexte que le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) a voté l’envoi de troupes au Burundi, afin d’y protéger les civils. Le problème est qu’il faudra, pour cela, l’accord de Bujumbura. Ce qui est évidemment loin d’être gagné.

« Désormais, nous avons deux options: soit nous envoyons des troupes avec le consentement du gouvernement du Burundi. Soit nous attendons le consentement des chefs d’Etat africains, ce qui signifie que les deux-tiers devront approuver. Notre option préférée est de parvenir à un accord avec le gouvernement burundais », a expliqué Bonaventure Cakpo Guebegde, du département Paix et Sécurité de l’UA.

Les troupes susceptibles d’être envoyées au Burundi seraient fournies par Force est-africaine en attente (EASF), à laquelle 10 pays participent (Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Rwanda, Seychelles, Somalie et Soudan).

Mais on n’en est pas encore là. « Le porte-parole du gouvernement estime que le CPS de l’UA devrait plutôt envoyer une mission (…) au Rwanda, les menaces contre la paix et la sécurité au Burundi venant de là », a en effet réagi Karerwa Ndenzako, porte-parole adjoint du président Nkurunziza, à l’annonce du CPS.

Une autre possibilité serait d’envoyer des Casques bleus au Burundi. Ce scénario est d’ailleurs étudié par l’ONU, qui puiserait des effectifs dans le contingent de la MONUSCO, sa mission actuellement déployée en République démocratique du Congo, où, là aussi, les violences sont quotidiennes.

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