Un rapport parlementaire très réticent à l’idée d’une éventuelle intervention militaire en Libye

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La situation en Libye reste compliquée. Le pays compte deux gouvernements émanant d’autant de Parlement rivaux, l’un établi à Tripoli et soutenu par la milice Fajr Libya et dominé par les islamistes, l’autre à Tobrouk, issu des élections de juin 2014.

En outre, des influences étrangères sont également de la partie : l’Égypte et les Émirats arabes unis soutiennent le gouvernement de Tobrouk, reconnu par la communauté internationale, tandis que le Qatar et la Turquie sont proches de celui installé à Tripoli.

Pour le moment, les Nations unies tentent de rapprocher les différentes parties afin d’arriver à un gouvernement d’union nationale. Des annonces ont été faites à ce sujet, à l’issue de négociations menées par les deux camps… Mais elles n’ont jamais été suivie d’effet.

En attendant, dans un pays qui n’est pas administré comme il le devrait et où deux factions rivales s’affrontent (sans parler des différends entre différentes tribus), les groupes jihadistes en profitent. C’est le cas de ceux liés à al-Qaïda, dont certains ont trouvé refuge dans le sud du pays après avoir été chassé de leurs sanctuaures au Mali… Mais aussi celui de l’État islamique (EI ou Daesh), qui contrôle plus de 200 km de côtes dans les environs de Syrte et menace le croissant pétrolier libyen.

Pour les députés socialistes Jean Glavany et Philippe Baumel, qui viennent de publier un rapport sur la Libye, ce serait une erreur de « ramener » l’opposition entre les gouvernements de Tripoli et de Tobrouk « à un clivage entre islamistes et libéraux » car « l’affrontement entre ces groupes n’est pas de nature idéologique mais porte sur la maîtrise des ressources et du contrôle de l’État libyen ».

S’ils admettent que l’intervention militaire de 2011, sous l’égide de l’Otan, a dépassé le mandat confié par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, les deux députés estiment qu’elle n’est pas la seule et unique cause de la situation qui prévaut actuellement en Libye.

« L’intervention militaire de 2011 a certes marqué la voie du désordre actuel en accélérant la chute de Kadhafi, mais la militarisation immédiate de la réponse du régime au soulèvement populaire a précipité ‘l’émergence d’une résistance armée qui n’a pu échapper à sa prise en otage par les seigneurs de guerre' », font-ils valoir.

En revanche, la communauté internationale a quand même sa part de responsabilité pour ne pas avoir su gérer la sortie de crise, par manque d’anticipation et surtout par méconnaissance des réalités libyennes.

« Après les élections, ni la France ni la communauté internationale n’ont mesuré, en juillet 2012, que la Libye était toujours en situation de post guerre civile, avec une forte polarisation des vainqueurs et des vaincus, ce que les experts dépêchés sur place, qui connaissaient pour la plupart pas ou mal la Libye, n’ont pas perçu. S’y ajoute une méconnaissance de l’état de fragmentation de la société libyenne et du vide institutionnel dans lequel vivait le pays », expliquent MM. Glavany et Baumel.

« Les divers clivages et fractures de la société libyenne n’ont pas tardé à reparaître et ont pris rapidement un tour militaire ce à quoi la communauté internationale n’a pas réagi assez fort et assez tôt » et « surtout, la planification de l’après-crise a clairement pêché par manque de pilotage et de volonté politique », poursuivent les deux députés.

Pour ces derniers, trois scenarii sont envisageables. Le premier est que l’une des deux factions s’impose militairement… ce qui, pour le moment, hautement improbable. Le second est la conséquence de la non-réalisation du premier : l’on irait alors vers un « pourrissement » du conflit, avec un risque de fragmentation du pays et une emprise de plus en plus importante des groupes jihadistes, et de Daesh en particulier. Enfin, le dernier consisterait à arriver à une solution diplomatique, « seule voie de règlement crédible » pour les deux parlementaires.

Car pour MM. Glavany et Baumel, une nouvelle intervention militaire en Libye est « peu souhaitable » car elle « serait non seulement rejetée par l’ensemble des libyens mais aurait aujourd’hui de graves effets déstabilisateurs ».

« Ce type d’opération – tout comme la levée de l’embargo sur les armes serait tout à fait contraire au double objectif poursuivi par la communauté internationale : lutter efficacement contre le terrorisme et contribuer au rétablissement de la stabilité en Libye », insistent les deux députés, qui, au passage, déplorent les « quelques déclarations intempestives de l’Italie, du ministre de la défense français, et de l’Egypte » sur ce sujet. M. Le Drian appréciera…

Les rapporteurs ont avancé plusieurs raisons. La première est qu’il y aura peu de chance d’obtenir le feu vert du Conseil de sécurité pour lancer une telle opération, la « Russie ayant été échaudée par la tournure prise par l’intervention de 2011 ». La seconde est qu’elle exigerait l’engagement de forces terrestres, ce que peu de pays sont prêts à envisager. Enfin, soulignent-ils, « il faudrait aussi compter avec la réaction d’autres pays voisins, notamment de l’Algérie et de la Tunisie, fermement opposés à toute intervention occidentale car ils craignent les représailles sur leur territoire. »

« Les conséquences d’une telle intervention sont peu claires – dans l’hypothèse où certains jihadistes seraient chassés du sud libyen, faudrait-il, sans envoyer des troupes au sol, les combattre en Cyrénaïque? Pour avoir un effet stratégique réel et obtenir un résultat politique, toute opération militaire doit avoir une empreinte au sol forte et durable », plaident MM. Glavany et Baumel.

Et d’ajouter : « Il faut mesurer les conséquences d’une intervention aujourd’hui sur la situation intérieure : le pays est en situation de conflit, une intervention armée pourrait avoir pour conséquence de polariser un peu plus le jeu politique, de ruiner le fruit des efforts de l’ONU, d’être accusés de prendre partie en faveur d’un camp ou de l’autre ».

En outre une telle opération serait susceptible de pousser « à la radicalisation certains éléments d’Aube de la Libye [Fajr Libya], ce qui ruinerait instantanément le fruit des négociations qui se poursuivent péniblement sous l’égide des Nations unies, et favoriserait des alliances de court terme avec des groupes jihadistes. »

Ainsi, observent les rapporteurs, « l’ambiguïté des relations entre Aube de la Libye et certains groupes djihadistes est évidente, et doit être combattue mais la réduction du conflit à l’opposition entre Tobrouk d’un côté et Tripoli assimilé aux terroristes de l’autre, confond ces derniers avec les brigades de Misrata, Tripoli ou autres villes de l’Ouest qui combattent elles aussi le terrorisme. C’est détruire les ferments d’unité dans le pays induits par la présence de Daesh. »

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