Le chef d’état-major des armées ne fera « aucune preuve de souplesse » sur le budget de la Défense
Comme chaque année, en fin d’exercice budgétaire, un projet de loi de finances rectificative sera soumis par le Parlement afin de prendre en compte des dépenses imprévues et/ou supérieures à ce qui avait été initialement prévu.
Ce texte est attendu non sans impatience par le ministère de la Défense, et en particulier par la Direction générale de l’armement (DGA), qui fait actuellement le fond de ses poches pour financer le programme 146 « Équipement des forces ». L’enjeu est de pouvoir compter sur les 2,14 milliards de crédits budgétaires promis à la place de ressources exceptionnelles (REX) qui ne pouvaient être mobilisées dans les délais.
« L’ensemble des crédits de la mission ‘Défense’ doit être au rendez-vous en fin de gestion 2015 selon le volume prévu par la loi de finance initiale, soit 31,4 milliards d’euros, dont 2,14 milliards de crédits budgétaires substitués aux ressources exceptionnelles qui devront être inscrits dans la loi de finances rectificative de fin d’année », a ainsi rappelé le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées (CEMA), lors de son audition par les députés de la commission de la Défense.
Seulement, comme cette loi de finances rectificatives prendra en compte d’autres dépenses imprévues, le général de Villiers redoute « le grignotage progressif en gestion de nos ressources financières ».
En effet, si le ministère de la Défense obtient des arbitrages budgétaires favorables, ces derniers sont souvent remis en cause par Bercy… Aussi, le général de Villiers a prévenu : « Il nous faut ces ressources selon le calendrier prévu : je ne ferai preuve d’aucune souplesse sur ce sujet » car « elles nous sont indispensables pour la bonne combinaison entre les moyens et les missions » de nos forces armées.
Parmi ces dépenses imprévues, il y aura notamment le dépassement des surcoûts liés aux opérations extérieures (OPEX) et intérieures (OPINT). Elles font l’objet d’un financement interministériel, auquel le ministère de la Défense participe à hauteur de 20% environ (ce qui correspond à son « poids budgétaire »).
Lors des débats portant sur l’actualisation de la Loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, le Sénat avait tenté d’éviter au budget de la Défense d’être sollicité pour financer le dépassement des surcoûts des OPEX… Et cela afin d’éviter des ponctions sur ces crédits d’équipements, comme cela se fait chaque année. Seulement, il n’a pas entendu. Sans doute faudra-t-il le regretter…
Ainsi, au-délà des 2,14 milliards de crédits qui permettront d’atteindre les 31,4 milliards de budget promis à la Défense en 2015, « pour ne pas hypothéquer l’avenir, et pour respecter les décisions prises dans le cadre de l’actualisation, notamment celles relatives aux équipements, les charges nouvelles doivent également être couvertes tout en exonérant la défense des abattements traditionnels de fin d’année », a averti le général de Villiers.
« Cela correspond à environ 950 millions d’euros comprenant notamment les surcoûts OPEX, au-delà de la provision initiale, Sentinelle, et la révision de la trajectoire de déflation des effectifs avec la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre », a expliqué le CEMA.
S’agissant du coût de l’opération Sentinelle, dont on ignore comment il sera financé, le général de Villiers a été clair : « La décision de non-remboursement sur la durée de la LPM de l’opération Sentinelle reviendrait à annuler la totalité des ressources dédiées à la régénération des équipements ainsi qu’une partie de celles dédiées à l’achat d’équipement ».
Or, a-t-il ajouté, en s’adressant aux députés, « cela ne serait ni raisonnable ni concevable, sauf à remettre en question l’actualisation de la LPM que vous venez de voter, sauf à accepter de dégrader encore le report de charges, sauf à remettre en question nos capacités d’engagement opérationnel.
Un autre point de préoccupation pour le CEMA concerne les « coûts de facteur », c’est à dire les gains réalisés grâce à l’évolution favorable des indices économiques, comme par exemple la baisse du prix du pétrole.
Ces ressources ainsi potentiellement dégagées – environ 1 milliards – permettraient de tenir la trajectoire financière définie par l’actualisation de la LPM jusqu’en 2019. Leur montant a été évalué grâce à des équations tellement compliquées qu’elles doivent, a ironisé le député François Cornut-Gentille, à l’examen de sortie de l’École polytechnique.
Seulement, le général de Villiers semble dubitatif. « Nous devons être vigilants sur la réalité des économies réalisées » car « si l’effet ‘coût des facteurs’ est indisctable (…) nous avons pris des hypothèses de programmation très volontaristes, notamment sur le fonctionnement », a-t-il avancé. Aussi, a, poursuivi le CEMA, « nous devons être attentifs à ce que les gains de pouvoir d’achat attendus se traduisent dans la vraie vie des unités ».
Qui plus est, ces économies d’un milliard, destinées à financer des équipements dont les armes ont absolument besoin, pourraient être amoindries par des dépenses nouvelles, comme celles liées à « l’application de nouvelles lois ou normes, par exemple dans le cadre de la transition énergétique ».
« La différence entre les économies liées à l’évolution du coût des facteurs et ces charges additionnelles constituera le bénéfice net qui, je l’espère, s’élèvera à hauteur d’un milliard d’euros sur la période. Ce sujet fait l’objet actuellement d’une nouvelle mission conjointe de l’inspection générale des finances (IGF) et du contrôle général des armées (CGA), dont les conclusions sont attendues pour la fin de l’année », a expliqué le général de Villiers.
« Ce phénomène [des coûts de facteur] est conjoncturel. Va-t-il durer jusqu’en 2019 et représenter un milliard d’euros comme prévu ? C’est toute la question », s’est demandé le CEMA.
Quoi qu’il en soit, s’il ne veut faire preuve d’aucune souplesse sur le budget des armées, c’est la limite du « faire plus avec moins » est atteinte.
« Les discours sur le thème ‘plus petit et plus musclé’, je ne veux plus les entendre. Les armées poursuivent les 31 chantiers en cours sur les gains de productivité, mais nous ne pouvons pas aller plus loin, contrairement à ce qu’espèrent certains experts », a averti le général de Villiers.
« Nous sommes exemplaires : nous ‘déflatons’ les effectifs et réduisons nos coûts de fonctionnement jusqu’en 2019 pour renforcer les dépenses liées aux opérations. Nous le faisons depuis 20 ans. Pas plus que les autres, nous ne voulons être la variable d’ajustement du budget de l’État. En tant que chef d’état-major des armées, je suis avant tout responsable de la vie de mes soldats, envers lesquels j’ai un engagement moral », a-t-il insisté.