Renseignement : Le général Favier rassure sur la capacité de la gendarmerie à détecter les « signaux faibles »

Un individu parti s’installer à la campagne et qui se met à commander de plusieurs fournisseurs une quantité importante de nitrate d’ammonium sous le prétexte de se lancer dans la culture de légumes auprès peut être considéré comme suspect dans la mesure où l’engrais en question peut aussi servir à fabriquer des engins explosifs. En 2011, le norvégien Anders Breivik avait procédé de cette manière afin de commettre un attentat contre des bâtiments gouvernementaux dans le centre d’Oslo.

D’où l’importance du renseignement dit de proximité, qui permet de détecter ce que l’on appelle des « signaux faibles ». Et, dans ce domaine, la Gendarmerie nationale a un grand rôle à jouer grâce à son maillage territorial, ce qui lui permet de bénéficier de nombreux « capteurs » sur le terrain.

D’ailleurs, la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN) s’est dotée, en 2013, d’une sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) afin d’exploiter au mieux le renseignement territorial.

« S’agissant de la lutte contre le terrorisme, il n’est pas aujourd’hui de zones préservées sur le territoire national et des ramifications de réseau peuvent s’implanter quel que soit l’endroit, urbain ou rural. Il nous faut donc travailler, sur l’ensemble du territoire national, à une perception fine des signaux faibles de la radicalisation », a par ailleurs affirmé le général Denis Favier, le patron de la Gendarmerie nationale (DGGN), lors de son audition par les députés de la commission de la Défense.

Seulement, avec les contraintes financières et les réformes successives, les implantations de la gendarmerie se réduisent d’année en année, via des regroupements de brigades. Ce qui fait douter le député Yves Fromion de la capacité future des gendarmes à capter les signaux faibles.

« Dans mon département, il est envisagé des regroupements qui devraient prendre la taille d’une demi-compagnie  Pendant ce temps, c’est le vide qui se crée tout autour. À l’origine, les communautés de brigades devaient permettre d’accroître la mobilité des gendarmes en évitant qu’ils ne restent derrière un guichet : aujourd’hui, ils manquent de véhicules et de carburant, et, chaque fin d’année, on les voit venir réclamer un peu d’essence aux services techniques de la ville. Il y a donc une contradiction entre le regroupement d’unités et les moyens dont vous disposez », a commencé par expliquer le député.

Aussi, « que comptez-vous faire dans les années qui viennent pour maintenir le maillage sur le territoire et faire en sorte que la ‘ perception fine des signaux faibles’ soit une réalité et pas seulement une formule magique?, a demandé M. Fromion au général Favier.

Ce dernier a laissé entendre qu’il fallait vivre avec son temps. « Mon intention est bien de capter les signaux faibles sur tout le territoire. Mais dois-je le faire avec le dispositif qui existait au XIXe siècle et au début du XXe? Je ne suis pas efficace avec des brigades dispersées de quatre ou cinq gendarmes car elles n’ont plus la capacité de faire face aux enjeux actuels », a expliqué le DGGN au député.

« En concertation avec les élus, en lien avec le préfet et les autorités locales, j’essaie donc de procéder, chaque fois que cela a un sens opérationnel, à la fermeture de petites unités et d’en regrouper les effectifs et les moyens au sein de brigades plus importantes. Certes, cela augmente les distances à parcourir et nécessite des véhicules, mais je dégage davantage de puissance avec des gendarmes qui sont plus mobiles », a-t-il poursuivi.

Les gendarmes ne pouvant pas rester statiques, le général Favier a souligné la nécessité d’innover. « En la matière, je crois beaucoup au numérique », a-t-il dit. Et particulièrement à la tablette numérique qui équipera à terme chaque militaire de la gendarmerie.

« La 4G arrivera même dans les territoires les plus reculés. Le gendarme sera beaucoup plus performant grâce à sa tablette numérique. Il sera capable d’enregistrer les plaintes partout, d’interroger des fichiers, de dresser un procès-verbal d’accident de la circulation et d’y intégrer des photographies. Cet outil, NeoGend, nous permettra de mettre en place une nouvelle proximité qui ne sera pas nécessairement territoriale, mais numérique », a fait valoir le DGGN.

En outre, quand une brigade ferme, des solutions alternatives sont mises en places, comme avec, par exemple, une permanence assurée par des gendarmes dans des « maisons de services publics ». Et « nous travaillons parfois avec La Poste en occupant, dans certains villages, par exemple le jour du marché, un local où nous accueillons le public », a affirmé le général Favier.

« Dans certaines brigades, très peu de personnes se présentent à l’unité, il n’y a guère d’appels la nuit. Les gendarmes sont bien présents, mais ils ne produisent pas de sécurité. Aujourd’hui, on ne peut plus raisonner de la sorte », a-t-il encore insisté.

Ces explications n’ont pas convaincu M. Fromion. « J’appelle votre attention sur des remarques que j’ai très souvent entendues de la part des gendarmes, qui nous disent rencontrer davantage de difficultés aujourd’hui pour capter le renseignement auprès de la population, parce qu’ils sont moins présents, plus éloignés », a-t-il rétorqué. Quant aux tablettes numériques, elles « ne remplaceront pas les contacts réguliers », a-t-il estimé. D’où le risque, selon lui, « de couper le gendarme du contact de terrain, et donc du renseignement ».

Là encore, le général Favier s’est attaché à dissiper les craintes du député. « Il nous faut développer d’autres possibilités de recueil du renseignement. Je pense à la concertation avec les maires qui sont bien informés de ce qui se passe dans leur commune », a-t-il dit, avant d’évoquer la « participation citoyenne », qui « consiste à encourager l’alerte en temps réel et la remontée d’informations venant de la population dès lors qu’un fait anormal se produit ». Des esprits taquins pourrait y voir un appel à la délation…

« Il ne faut pas non plus ignorer que la gendarmerie a vu l’organisation générale de la fonction renseignement évoluer autour d’elle et que les personnels, sur le terrain, ont pu avoir le sentiment qu’ils étaient moins sollicités qu’autrefois. C’est donc avec beaucoup d’énergie que nous avons remis l’accent sur le recueil du renseignement », a conclu le général Favier sur cette question.

Conformément à l'article 38 de la Loi 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. [Voir les règles de confidentialité]